Chronique

Un duel ibérique épique

La date était encerclée sur le calendrier familial depuis le tirage au sort de cette Coupe du monde, en décembre dernier. Le premier grand choc du Mondial russe, à Sotchi, entre les voisins espagnols et portugais. Les champions d’Europe en titre contre les champions du monde 2010, revenus à leur meilleur niveau. J’avais réservé mon vendredi après-midi… six mois à l’avance.

Ce rendez-vous parmi les plus anticipés de la phase de poule, entre les deux favoris du groupe B, a certainement été à la hauteur de ces attentes élevées. Quel match ! Des buts spectaculaires, une gaffe monumentale, des revirements multiples et un tour du chapeau de Cristiano Ronaldo.

L’incontournable CR7 avait pourtant amorcé la journée sur une fausse note : une condamnation de deux ans de prison assortie d’une amende de 18 millions d’euros pour évasion fiscale (on ne risque pas pour autant de le voir de sitôt derrière les barreaux). Cela n’a pas empêché le Portugais de marquer sur penalty dès la 4e minute, après avoir été fauché par l’Espagnol Nacho, son coéquipier au Real Madrid.

Le deuxième but de l’ex-star de Manchester United fut davantage le résultat d’une bourde de David de Gea, qui a laissé une frappe sèche, en apparence inoffensive, glisser sous ses doigts, en toute fin de la première mi-temps. Une rare erreur du portier espagnol, qui a connu une saison de rêve à Manchester et que beaucoup considèrent néanmoins comme le meilleur gardien de but du monde.

Ronaldo, qui joue désormais en pointe d’attaque en sélection comme en club, a complété son 51e triplé en carrière – excusez du peu – d’un magistral coup franc à la 88e minute, devenant le quatrième joueur seulement à marquer dans quatre Coupes du monde. Son 84e but sous le maillot du Portugal a assommé les Espagnols, qui étaient revenus au score deux fois par Diego Costa, avant de prendre les devants grâce à une frappe du tonnerre de Nacho (son premier but en sélection).

Les Espagnols n’avaient pourtant encaissé que trois buts dans l’ensemble de la campagne de qualification pour cette Coupe du monde, qui a pris pour la Furia Roja une tournure rocambolesque cette semaine. Mardi, la Fédération espagnole de football a surpris tout le monde en congédiant le sélectionneur national Julen Lopetegui à deux jours du début du Mondial.

Lopetegui était déjà sur place à Sotchi, avec son équipe, invaincue en 20 matchs depuis qu’il en avait pris les rênes, il y a deux ans. Qu’à cela ne tienne, Mondial ou pas, la Fédération a décidé de sévir. Son président n’a pas digéré que son sélectionneur ait négocié à son insu avec le Real Madrid afin de succéder à Zinédine Zidane au poste d’entraîneur au terme du tournoi.

On peut comprendre la colère de la Fédération, dans la mesure où Lopetegui a signé un prolongement de contrat avec l’équipe nationale jusqu’en 2020. Ses dirigeants, semble-t-il, n’ont été avisés de son embauche par le Real Madrid que cinq minutes avant son annonce publique, par communiqué de presse.

Manque de diplomatie et de transparence du Real Madrid, apparence de conflit d’intérêts d’un sélectionneur national qui avait notamment pour tâche de gérer les guerres d’ego entre stars du Real et du Barça, dans un contexte politique tendu avec la Catalogne. Soit. Fallait-il pour autant risquer de mettre en péril le Mondial de l’Espagne, l’une des équipes favorites en Russie ?

Incapable de retenir ses larmes, jeudi, à la conférence de presse organisée au stade Santiago-Bernabéu pour annoncer officiellement sa venue à Madrid, Lopetegui a déclaré qu’il s’agissait du jour le plus triste de sa vie, hormis celui du décès de sa mère.

On lui souhaite pour sa peine de rester plus qu’une ou deux saisons au Real, un club qui a traditionnellement très peu de patience avec ses entraîneurs. Disons que Claude Julien n’y aurait pas été toléré plus qu’une demi-saison…

Une heure plus tôt jeudi, à Sotchi, Sergio Ramos, capitaine de l’équipe espagnole et du Real Madrid, avait déclaré se sentir « comme à des funérailles », à l’occasion d’une conférence de presse où était dévoilé le nouvel entraîneur de la sélection nationale, l’ex-capitaine de la Roja et du Real Madrid, Fernando Hierro. Hierro, 50 ans, était jusqu’à présent directeur sportif de la Selección, un rôle somme toute protocolaire qu’il avait occupé entre 2007 et 2011, époque des premiers sacres espagnols à l’Euro et au Mondial.

Contre le grand rival portugais, hier, l’équipe espagnole ne semblait pas souffrir outre mesure du soudain renvoi de son sélectionneur, par ailleurs très apprécié par les joueurs. Cette machine réglée au quart de tour, au schéma tactique bien établi, menée par des joueurs très expérimentés (l’âge moyen de l’équipe est de presque 30 ans), est sans doute l’une des sélections les plus susceptibles de se remettre de ce genre de contrecoup dans un tel contexte.

Même si, sur papier, les Espagnols sont supérieurs aux Portugais, le match nul d’hier ne devrait pas être catastrophique pour la Roja, qui ne s’était jamais remise de la défaite de 5-1 subie aux mains de son adversaire de la finale de 2010, les Pays-Bas, lors de son match d’ouverture au Brésil, il y a quatre ans. Le Portugal avait aussi perdu, 4-0, contre les éventuels champions allemands à son premier match du Mondial 2014. Les adversaires marocains et iraniens sont évidemment à la portée des deux puissances ibériques.

Hier, c’est un Ronaldo en état de grâce, malgré ses 33 ans, qui a fait pencher la balance.

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