Chronique

Ottawa dégonfle encore votre maison de rêve

Si vous avez l’intention d’acheter une plus grande maison ou d’agrandir la vôtre, j’ai des petites nouvelles pour vous. Ottawa a annoncé cette semaine une nouvelle vague de resserrement des règles hypothécaires qui pourrait dégonfler les projets des acheteurs.

La mesure principale vise surtout les gens qui ont déjà amassé du capital et qui en sont à leur deuxième ou leur troisième maison.

« Le changement va réduire leur capacité d’emprunt d’environ 16 % », m’a expliqué Denis Doucet, porte-parole du courtier hypothécaire Multi-Prêts.

En fait, le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) va demander aux banques d’être plus sévères avant d’accorder une hypothèque non assurée. Ce type de prêt est accordé aux emprunteurs qui ont au moins 20 % de mise de fonds et qui n’ont pas besoin de payer une prime d’assurance hypothécaire (ex. : SCHL).

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À partir du 1er janvier, les banques vont devoir utiliser un taux supérieur de 2 % à celui qui est en vigueur (ex. : 3,24 % pour un terme de cinq ans, cette semaine) ou le taux de référence de cinq ans publié par la Banque du Canada (4,89 % en ce moment), selon le plus élevé des deux, lorsqu’elles déterminent la capacité d’emprunt d’un ménage.

Les acheteurs n’auront pas réellement à payer un taux plus élevé, mais le nouveau test fera en sorte qu’ils ne pourront plus s’endetter autant.

Prenez une famille qui n’a aucune dette et dont les revenus combinés s’élèvent à 100 000 $. Présentement, elle peut emprunter 390 000 $, ce qui lui permet d’acheter une maison de 485 000 $ avec une mise de fonds de 20 %.

Mais avec les nouvelles règles, cette famille ne pourra plus emprunter que 320 000 $. C’est 70 000 $ de moins. Cela signifie qu’elle devra se contenter d’une maison d’une valeur de 415 000 $.

« Ceux qui prévoyaient vendre et acheter une plus grande maison vont peut-être laisser tomber », envisage M. Doucet. Le couple qui vient d’avoir un autre enfant préférera peut-être aménager une chambre au sous-sol plutôt que de déménager dans une maison plus spacieuse.

Remarquez, ce sont surtout les ménages qui sont prêts à tirer au maximum sur l’élastique du crédit qui sentiront la différence, ce qui n’est pas une mauvaise chose.

En resserrant les règles du jeu, Ottawa installe des garde-fous pour les empêcher d’acheter une maison trop chère pour leurs moyens et, surtout, s’assurer qu’ils seront capables d’absorber le choc si les taux d’intérêt, qui ont déjà grimpé de 0,5 point de pourcentage, continuent leur remontée.

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Même si l’objectif est louable, on peut se demander si cette offensive pancanadienne n’est pas trop vigoureuse pour le marché québécois.

Quand j’ai rencontré les dirigeants des trois grandes institutions financières québécoises, au début du mois, tous s’entendaient pour dire qu’il n’y avait pas de surchauffe immobilière chez nous.

Rien à voir avec Vancouver, où les étrangers achètent des condos comme ils mettraient de l’argent dans un compte en Suisse. Rien à voir non plus avec le marché de Toronto, particulièrement dans la deuxième couronne, où la prudence est de mise.

« Politiquement, [le Canada] est un pays. Mais géographiquement, on est un continent. Vous ne pouvez pas parler du marché immobilier canadien, ça n’existe pas. C’est toute une série de marchés qui ont des caractéristiques très différentes », disait le patron de la Banque Nationale, Louis Vachon.

Et le Québec s’en tire très bien, du moins pour l’instant. « Quand on regarde la situation aujourd’hui, on voit que les gens se sont enrichis, qu’ils sont en mesure de payer [leur maison] convenablement », renchérissait le patron de Desjardins, Guy Cormier.

N’empêche, les scénarios préparés par le Mouvement Desjardins démontrent que près de 40 000 ménages québécois pourraient avoir du mal à joindre les deux bouts, advenant une hausse des taux d’intérêt plus rapide que prévu.

Bref, il faut rester vigilant. Il vaut mieux agir tout de suite plutôt que d’attendre que le feu soit pris dans la maison.

Et puis, lors de la vague de resserrement hypothécaire précédente, en octobre dernier, on avait aussi craint que le marché immobilier québécois ne recule. Finalement, c’est tout le contraire qui s’est produit. Il faut dire que le marché du travail bat son plein, un facteur-clé pour l’immobilier.

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Reste à voir si les nouvelles règles imposées aux banques pousseront les emprunteurs plus serrés dans les bras de prêteurs non réglementés par le BSIF, comme des prêteurs alternatifs ou des prêteurs privés.

Malheureusement, on observe déjà ce phénomène pour les refinancements, m’a confirmé M. Doucet.

Déjà, il est plus difficile de refinancer sa maison dans une banque, car les règles de refinancement hypothécaire ont été resserrées pour éviter que les ménages utilisent leur maison comme un guichet automatique. Or, les nouvelles règles vont compliquer encore plus la vie des gens qui veulent réemprunter.

Si les prix des maisons demeurent stables, les gens qui achètent une maison aujourd’hui avec une mise de fonds de 5 % ne pourront pas refinancer leur maison avant une dizaine d’années. À moins d’aller vers un prêteur plus flexible… mais aussi beaucoup plus gourmand (ex. : 8-10 % d’intérêt).

On est bien loin de l’objectif d’Ottawa.

Mais de nombreux propriétaires n’ont même pas besoin de retourner à la banque pour un refinancement, car ils ont une marge de crédit hypothécaire. Ainsi, ils peuvent constamment réemprunter le capital remboursé sur leur maison. Ce faisant, ils sont condamnés à payer des intérêts pour l’éternité. Et ils seront les premiers à souffrir si les taux remontent.

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