Nomination des juges à la Cour suprême

Québec réclame un « rôle déterminant »

QUÉBEC — Philippe Couillard salue des « avancées » dans le nouveau processus de nomination des juges de la Cour suprême, mais ses demandes ne sont pas toutes comblées. Le premier ministre québécois prévient son homologue fédéral Justin Trudeau que le Québec « devra avoir un rôle déterminant à jouer » dans le choix des magistrats.

Dorénavant, uniquement des juges bilingues seront nommés au plus haut tribunal du pays, a annoncé Justin Trudeau dans une lettre ouverte publiée dans La Presse hier. Cette volonté « permet d’assurer aux Québécoises et aux Québécois ainsi qu’aux millions de Canadiennes et de Canadiens parlant français qu’ils seront vus, entendus et compris en cette cour », se réjouit Philippe Couillard, qui a lui aussi sorti sa plume pour répliquer à la sortie de son homologue.

« À l’aube de son 150e anniversaire, cette décision permet de mieux refléter dans nos instances communes une composante essentielle de notre fédération », ajoute-t-il dans sa lettre ouverte.

Pour lui, la réforme proposée par Justin Trudeau accroît la transparence et l’indépendance du processus de sélection des juges. Son homologue a annoncé la formation d’un comité consultatif, dont les membres sont nommés par Ottawa et des associations professionnelles de juristes, pour établir une liste de candidats afin de pourvoir un poste vacant à la Cour suprême. Lorsque la liste lui sera soumise par le comité, Ottawa consultera entre autres le procureur général de la province concernée – le ministre de la Justice – avant d’annoncer son choix.

« UNE OCCASION À SAISIR »

Le Québec compte trois sièges à la Cour suprême. Lorsque l’un d’entre eux devra être pourvu, « la composition du Comité consultatif sera ajustée pour tenir compte de la tradition juridique particulière du Québec », a indiqué Justin Trudeau, faisant allusion au Code civil.

Philippe Couillard voit dans ce « mécanisme différent » une reconnaissance de la « distinction québécoise ». Mais les contours de ce mécanisme sont flous pour le moment. M. Couillard présente ainsi la proposition de M. Trudeau comme « une occasion à saisir » en vue de répondre aux demandes traditionnelles du Québec.

« Puisque la Cour suprême appartient également aux deux ordres de gouvernement, c’est “ensemble” que nous devrons maintenant travailler de façon constructive à définir ce mécanisme. »

— Le premier ministre Philippe Couillard

Il insiste : « Le Gouvernement du Québec devra avoir un rôle déterminant à jouer dans le processus consultatif qui mènera à la recommandation des trois juges pour le Québec, reflétant ainsi son statut de gouvernement et de partenaire fédératif. Il en ira de même pour la sélection des membres du comité. Ceci apparaît nécessaire pour que le mécanisme à élaborer assure, comme l’a récemment signalé la Cour suprême du Canada, une réponse adéquate à la particularité du droit civil, aux traditions juridiques et aux valeurs sociales distinctes du Québec. »

DES RELENTS DU LAC MEECH

Lors des élections fédérales l’an dernier, Philippe Couillard était plus précis dans ses revendications. Il avait demandé qu’Ottawa « exerce sa prérogative de nomination en choisissant parmi une liste de candidats proposés par le gouvernement du Québec ». C’était d’ailleurs l’une des cinq conditions de l’accord du lac Meech, mort en 1990. 

« Cette liste de candidats éligibles serait établie à l’issue du processus de consultation indépendant et apolitique déjà mis en place au Québec », ajoutait M. Couillard dans une lettre qu’il avait fait parvenir à tous les chefs fédéraux. Il réclamait par la même occasion le bilinguisme à la Cour suprême. Justin Trudeau avait alors répondu par écrit qu’il accéderait à cette dernière demande et que, pour le reste, il voudrait « instaurer un processus de nomination qui soit plus transparent, plus respectueux des provinces ».

MM. Couillard et Trudeau ont du temps devant eux pour s’entendre sur un « mécanisme différent », propre au Québec. Car à moins d’un départ imprévu, la nomination d’un juge québécois ne devrait pas survenir de sitôt. L’âge de la retraite obligatoire pour les trois magistrats arrive au plus tôt au début des années 2030.

RÉACTIONS DE L’OPPOSITION

« Par rapport à la procédure totalement arbitraire qui existait jusqu’à présent, il s’agit assurément d’une amélioration non négligeable. [Mais] ce mécanisme tend à minimiser le rôle qu’aurait pu et aurait dû jouer le Québec. Qu’on les apprécie ou non, ces institutions ont une incidence importante sur les destinées du peuple québécois. Dans les circonstances, il aurait été normal que le Québec ait son mot à dire dans leur composition. Le processus demeure arbitraire, dans la mesure où le premier ministre fédéral demeure celui qui, ultimement, décide des nominations. » 

— Stéphane Bergeron, député du Parti québécois et porte-parole en matière de relations intergouvernementales

« Le processus devient un peu plus transparent, mais ce n’est vraiment pas suffisant pour le Québec. Le gouvernement fédéral conserve totalement la prérogative de nommer les juges. On prévoit d’ajuster la composition du comité, mais ça demeure des individus nommés par le fédéral et ça demeure un processus entièrement fédéral. On va seulement consulter les procureurs généraux des provinces. Donc le Québec n’aura pas son mot à dire sur le choix des juges qui proviennent du Québec ».

— Simon Jolin-Barrette, député de la Coalition avenir Québec et porte-parole en matière de justice, qui a déposé en février dernier un projet de loi pour que le Québec forme son propre comité de sélection, qui serait chargé de proposer une liste de trois candidats au poste de juge, entérinée par l’Assemblée nationale et à partir de laquelle Ottawa devrait faire un choix.

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