Chronique

L’homme magique

David Philippe a toujours aimé le film La vie est belle, dans lequel un père est dans un camp de concentration avec son fils; le père arrive à inventer un jeu, une histoire de concours, pour préserver son garçon des horreurs de la guerre. C’est un beau film, je ne connais personne qui ne l’ait pas aimé.

En cela, David n’a rien de particulier.

Sauf que David, en 2012, a appris qu’il allait mourir du cancer, dans un an, peut-être deux, maximum trois.

Pierrot avait 2 ans et Émie, 4. « Quand ils m’ont annoncé ça, je me suis dit que je serais comme le père dans La vie est belle, que je laisserais de beaux souvenirs à mes enfants, que j’essayerais de mettre un peu de magie dans tout ça. » Ça tombait quand même bien, David est magicien.

Il fait des spectacles pour les enfants depuis qu’il a 25 ans, il en a 37. Il fabrique aussi des animaux en ballons. Des gens de son coin – il habite à Maria, en Gaspésie – l’appellent le Magic Man. Il est engagé dans mille et un organismes pour aider ses compatriotes qui en ont besoin.

Un bon gars.

Quand David avait des rendez-vous en oncologie, il y allait parfois avec son petit Pierrot. « On avait chacun notre nez de clown dans les corridors de l’hôpital, partout, et on comptait les sourires qu’on provoquait. C’était vraiment beau, mon fils faisait sourire les gens, il criait : “J’en ai un !” »

David portait aussi son nez rouge quand il suivait ses traitements de radiothérapie. Il avait toujours un ballon dans une poche au cas où il croiserait un enfant, un jeu de cartes dans l’autre pour jouer des tours aux infirmières. « Je suis tout un numéro, pour ne pas passer pour un numéro… »

L’année dernière, donc, se sachant condamné, il s’est mis de mèche avec le lutin pour qu’il fasse des tours mémorables. « Je voulais que mes enfants se souviennent de moi. » Le lutin ne s’est pas fait prier.

Un soir, Ti-clown Théodore a dévissé tous les panneaux des armoires de cuisine. Un autre, il a rempli le bain de neige, a écrit dessus « Pierrot » et « Émie » en tire d’érable. Pas longtemps après, il a bâti une pyramide avec 105 rouleaux de papier de toilette. Une nuit, il a dessiné un cœur sur le torse de David.

Au rasoir.

« Les folies que le lutin faisait l’an passé, je me nourrissais de ça. Ça leur faisait de beaux souvenirs. J’étais dans un down à ce moment-là, je sortais de radiothérapie, ça m’a permis de vivre le moment présent. »

Ça fait depuis 2010 qu’il apprend à faire ça, vivre le moment présent, quand il a reçu son premier diagnostic de cancer. « Ils ont trouvé deux nodules sur mon poumon gauche. On a eu les résultats de la biopsie le 8 septembre, et le 20, ils m’enlevaient le poumon. C’était un cancer très agressif. Pierrot n’avait même pas 1 an. Je le regardais jouer et je me disais qu’il n’aurait aucun souvenir de moi… »

Il a fait de la chimio et de la radio pour rafistoler les ganglions.

Le cancer était neutralisé, David est retourné à l’école pour faire un cours d’éducation spécialisée. Tout en faisant ses spectacles de magie pour les enfants et en travaillant comme plombier.

Printemps 2012, il a senti des fourmis dans son bras droit. Il est allé voir à l’hôpital, on a soupçonné un tunnel carpien, on lui a dit : « Monsieur, quand vous faites le clown et que vous soufflez des ballounes, ce n’est pas bon pour le tunnel. »

Ce n’était pas ça.

Le cancer était revenu, dans son cerveau. Il s’était niché aussi dans ses os et dans le seul poumon qui lui restait.

« J’ai eu le package. C’est là que le médecin m’a dit : “Si tu fais trois ans…” C’est là que je me suis dit que j’allais être comme le père dans La vie est belle. J’étais prêt à tout pour vivre plus longtemps, à suivre n’importe quel traitement, si ça pouvait me donner six mois de plus avec mes enfants… »

Il a été opéré au cerveau pour en retirer la tumeur, a suivi des traitements intensifs de radiothérapie. Il a demandé à voir un nouvel oncologue. « Je me disais que ça ne se pouvait pas qu’il n’y ait plus rien à faire. »

C’était en juin, avant la fin des classes. « Je suis parti de la maison à pied pour aller à mon rendez-vous, l’hôpital n’est pas loin. Je suis passé devant l’école de ma fille. J’avais du Metallica dans les oreilles, et mon nez de clown. Tout le monde m’avait dit que cet oncologue-là était super sérieux, qu’il ne riait jamais. Quand il m’a vu, il n’a pas eu le choix ! »

L’oncologue lui a parlé du Xalkori, un nouveau traitement en comprimés, David était un candidat parfait. Il a avalé ses premières pilules en septembre, a croisé les doigts. « J’avais une chance sur 20 d’être compatible pour le traitement et une chance sur trois de répondre. » C’était sa dernière chance.

En attendant, il se levait chaque matin pour voir la tête que faisaient ses enfants en voyant le tour du lutin.

Le 23 décembre 2013, Ti-Clown Théodore a écrit sa lettre d’au revoir en pleurant. Il allait s’ennuyer, mais il avait bon espoir de revenir l'an prochain. « Ce même jour-là, j’ai reçu les résultats d’un premier test qui disait que toutes les métastases étaient disparues… » Tous les tests depuis disent la même chose.

Cette année, ils ont capturé deux lutins.

David a recommencé à travailler à la microbrasserie du coin, 20 heures par semaine, bientôt plus. Les lutins se sont assagis un peu cette année, quoique… Ils ont eu cette ambitieuse idée de reproduire, sur la table de la cuisine, le logo du Canadien avec 2000 bouchons de bière que David a récupérés à son boulot.

Hier matin, il a souhaité bonne fête à Pierrot, il a eu 5 ans.

La vie est encore plus belle.

« Il paraît que je suis parti pour vivre encore un bout… Je ne suis peut-être pas guérissable, mais je ne suis pas tuable ! Tout ce que je demande, c’est d’emmener mes enfants à l’âge adulte. J’y crois de plus en plus… Je ne dis pas que la magie m’a sauvé, la magie m’a aidé à vivre. La magie, c’est d’y croire. »

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