« Un cas d’école »
pour juger
les dictateurs
Le jugement est historique et crée un précédent. Un dictateur jugé dans un autre pays. Vingt-six ans après la fin de son règne sanguinaire, qui a fait plus de 40 000 morts, l’ex-président du Tchad Hissène Habré a été condamné à la prison à vie pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre. Quatre questions à Fannie Lafontaine, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur la justice internationale pénale et les droits fondamentaux de l’Université Laval.
Quelle est l’importance de ce procès ?
D’abord, il démontre la capacité des États à poursuivre les crimes internationaux, à jouer leur rôle dans la lutte contre l’impunité. Le futur de la lutte contre l’impunité, ça ne se passera pas à La Haye [où siège la Cour pénale internationale], ça va se passer dans les tribunaux de Montréal, de Dakar, de Buenos Aires, de Lima. C’est un signe fort que les tribunaux nationaux sont capables de remplir leur mandat. [Deuxièmement], il y a une valeur symbolique très forte à voir un ex-dictateur africain jugé en Afrique. Finalement, ça démontre la puissance de ce mouvement global de la lutte contre l’impunité. Ce jugement, à Dakar, est le résultat de plusieurs années de lutte des victimes, mais aussi de développement du droit.
Est-ce que ça rend la Cour pénale internationale (CPI) moins nécessaire ?
Au contraire, la CPI est fondée sur l’idée que ce sont les États qui ont la responsabilité de juger. La Cour dit que si les États ont la volonté et la capacité de poursuivre, c’est à eux de le faire, qu’elle va exercer sa compétence seulement lorsque les États ne font pas leur travail, ou le font mal. C’est vraiment une cour de dernier ressort. [Donc, avec ce procès, l’Afrique dit à la communauté internationale] : « Nous aussi, on va contribuer à la lutte contre l’impunité. » Après, il y a tout un contexte, il y a eu beaucoup de fonds qui ont permis la tenue de ce procès-là, [mais] je pense que c’est un signe que l’Afrique fait partie de l’équation de la justice internationale et n’est pas en porte-à-faux avec la CPI.
Est-ce que ce genre de procès est plus efficace ?
Oui. […] Des efforts comme ça, de soutien de la communauté internationale à des initiatives nationales, c’est la voie de l’avenir, à mon avis. Et ça va coûter pas mal moins cher. Ça ne veut pas dire qu’il ne faut pas soutenir les tribunaux internationaux, ils vont jouer un rôle, mais l’ensemble des poursuites va devoir se tenir dans les tribunaux des capitales de ce monde. [Ce procès] est un exemple de la façon dont on peut se mobiliser collectivement pour venir en aide à un État qui souhaite utiliser ses tribunaux pour poursuivre un dictateur. C’est pas mal plus logique de poursuivre Hissène Habré au Sénégal, en recevant de l’aide financière des États du monde, que d’essayer de le traduire devant un tribunal international ou de l’extrader dans un pays européen. C’est plus logique, plus facile, plus puissant pour les victimes.
Où ce précédent pourrait-il être répété ?
Ça dépend des capacités des États en question. […] Il ne s’agit pas de donner de l’argent à tous les pays qui veulent le faire, [mais] dans un contexte où il y a une réelle possibilité de justice, il faut appuyer les efforts de justice. C’est le cas avec l’Amérique latine, qui manque de moyens, mais qui a les capacités, qui a une société civile forte, qui a des tribunaux relativement indépendants. C’est le cas aussi de plusieurs pays d’Afrique, comme le Burkina Faso ou la Côte d’Ivoire. […] Je pense qu’il faut mettre la question de la justice pour les graves violations des droits de la personne au cœur de notre politique étrangère [et] mettre à contribution notre expertise canadienne là-dedans, qui est indéniable.