Santé

JAMAIS SANS LA SCIENCE

La hausse de popularité des traitements alternatifs est une réalité pour le milieu médical. Le phénomène est si présent que l’Ordre des pharmaciens du Québec y consacre le plus récent numéro de son magazine L’Interaction.

L’Ordre constate qu’entre les produits biologiques et les articles vantant un mode de vie sain, « le “naturel” a particulièrement la cote ces temps-ci ». « Il n’est donc pas surprenant que certaines personnes se tournent vers les produits de santé naturels pour se soigner ou améliorer leur état de santé », est-il écrit.

Le pharmacien Olivier Bernard, connu pour son site internet de vulgarisation scientifique « Le pharmachien », estime que si les traitements alternatifs connaissent un tel essor, c’est qu’il existe actuellement un courant de « méfiance envers les grandes industries et les systèmes de santé » qu’on accuse de « manquer d’humanisme ».

Un avis partagé par Ariel Fenster, professeur de chimie et membre fondateur de l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill. 

« L’industrie pharmaceutique a mauvaise presse. Et les médecins n’ont pas le temps de s’occuper de leurs patients, contrairement aux gens qui pratiquent la médecine alternative. »

— Le professeur Ariel Fenster

Mais pour M. Fenster, les données scientifiques sont claires : les traitements alternatifs ne reposent sur aucune base scientifique. Aux États-Unis, le Centre national pour la médecine complémentaire et intégrative dépense plus de 100 millions par année en recherche et n’a pas encore trouvé de preuve scientifique montrant qu’une approche alternative est meilleure qu’un simple placébo, rapporte M. Fenster.

En 2006, le Collège des médecins du Québec publiait une brochure présentant une liste de questions que devraient se poser les patients avant de se tourner vers les traitements non reconnus.

« On a toujours fait des mises en garde sur les pratiques alternatives. Car beaucoup n’ont aucune reconnaissance scientifique », explique le président du Collège des médecins du Québec, le Dr Charles Bernard.

DES MÉDICAMENTS MAL TESTÉS

M. Fenster mentionne que, contrairement aux médicaments qui doivent prouver scientifiquement leur efficacité pour être commercialisés, les produits naturels et homéopathiques n’ont pas à remplir autant d’exigences pour être certifiés par Santé Canada.

Dans un reportage diffusé en 2015, l’émission Marketplace de CBC a démontré la faiblesse des certifications de Santé Canada pour les produits naturels en obtenant une certification pour un produit naturel n’ayant jamais existé en utilisant des photocopies d’une encyclopédie homéopathique datant de 1902.

M. Bernard dit d’ailleurs éprouver un « énorme malaise » avec la présence de certains produits naturels et homéopathiques dans les pharmacies. « Ces produits sont mêlés à travers des médicaments. Pour le consommateur, ça semble équivalent », dit-il.

DANGEREUX

Dans la plus récente publication de sa revue L’Interaction, l’Ordre des pharmaciens du Québec rappelle à ses membres qu’ « un produit “naturel” n’est pas pour autant sans danger ». Environ 15 % des consommateurs rapportent des effets indésirables.

M. Bernard rappelle qu’il y a 150 ans, les médecins tuaient plus de monde qu’ils n’en sauvaient avec leurs traitements, citant notamment la saignée. « Certains se sont tannés et ont créé le concept d’études cliniques. La méfiance des gens, je la comprends. Il ne faut pas tout rejeter du revers de la main. Mais les preuves scientifiques doivent être là », dit-il.

« Quand une approche alternative ne fait pas de mal, je n’ai rien contre. L’effet placébo, ça fonctionne. […] Mais la médecine doit être prouvée scientifiquement », conclut Ariel Fenster.

SANTÉ

La guerre des médecines

La popularité de l’échinacée, de la valériane, de la glucosamine et des milliers d’autres produits naturels est indéniable au Canada, où 70 % de la population dit en consommer. Mais le fossé demeure entre médecine traditionnelle et médecine douce. Alors que des dizaines de personnes sont réunies depuis hier à Montréal dans le cadre du Symposium international de naturopathie, La Presse fait le point.

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LES APÔTRES DU BIEN-ÊTRE

Phytothérapie, aromathérapie, naturopathie, homéopathie… Plus de 400 pratiques existent en médecine douce, dite « alternative ». Et les Canadiens sont nombreux à s’y intéresser. Près de la moitié des Canadiens atteints du cancer se tournent notamment vers les médecines douces durant leurs traitements, selon une enquête menée par le Cancer Complementary and Alternative Medicine Research Team (CCAM), au début des années 2000.

Malgré une popularité manifeste, la division entre la médecine et les approches alternatives est profonde au Québec, note le fondateur de l’École d’enseignement supérieur de naturopathie du Québec, Jean-Claude Magny, qui n’hésite pas à dresser un parallèle avec les opposants des débats sur le réchauffement climatique ou l’avortement. Pour M. Magny et plusieurs partisans des médecines douces, le défi actuel est d’amener les « différentes médecines à collaborer » pour « mieux servir le patient ».

« La médecine occidentale est dans une impasse. La population cherche une relation d’aide, et les médecins classiques ne sont pas formés pour ça », affirme le fondateur du Collège européen de naturopathie traditionnelle holistique, Daniel Kiefer.

Ce dernier note qu’alors qu’une consultation médicale dure en moyenne 12 minutes en France, un entretien avec un naturopathe prend en moyenne une heure et demie. « Cette écoute, les médecins ne peuvent pas l’apporter », dit-il.

QUELLE EFFICACITÉ ?

Quand on lui fait remarquer que plusieurs études ont démontré l’inefficacité de certaines médecines douces ou, au mieux, leur effet placébo, M. Magny répond que seulement 0,4 % des recherches médicales portent sur les médecines parallèles. « Si la science doit trancher, faisons plus de recherche sur les médecines alternatives. Mais est-ce qu’on va attendre ça pour soulager des gens ? », demande-t-il. M. Magny explique que durant sa jeunesse, sa mère lui donnait du bouillon de poulet quand il était grippé. 

« Ça a pris des années avant qu’une étude scientifique soit menée et vienne prouver les effets du bouillon de poulet. On ne peut pas mettre de côté un traitement qui fonctionne. Surtout si ça améliore le bien-être des gens. »

— Jean-Claude Magny, fondateur de l’École d’enseignement supérieur de naturopathie du Québec

M. Kiefer ajoute que de plus en plus de validations cliniques sont faites sur des produits de santé naturels. « Il faut juste prendre le temps de regarder ces études avec sérieux, dit-il. Mais de toute façon, pour nous, il n’est pas si intéressant de prouver l’efficacité d’une plante en particulier. On s’intéresse à l’art de vivre. Et c’est dur à évaluer par des études. »

Quand on lui parle des scandales qui font occasionnellement les manchettes, comme le cas de ce couple de parents albertains qui a vu son fils mourir d’une méningite après l’avoir soigné avec des produits naturels, M. Magny affirme qu’alors que les médicaments tuent des milliers de gens chaque année sans faire de bruit, les scandales liés au milieu des produits naturels sont « anecdotiques », mais font énormément jaser.

Sans prendre ces tragédies à la légère, M. Magny estime qu’elles sont la preuve que « retarder la bonne médication peut être dangereux ». « C’est pourquoi nous devrions avoir un ordre pour encadrer notre pratique et pour protéger le public », dit M. Magny, citant en exemple l’Ontario, qui possède un ordre des homéopathes et des naturopathes.

Pour M. Magny, il est clair que deux visions de la médecine s’affrontent quand on parle de médecines classique et alternative. Mais pour lui, un rapprochement est possible. M. Kiefer ajoute que chez les « décideurs », il y a une tendance à faire un amalgame entre les naturopathes et les charlatans. « Mais ce n’est pas le cas. Il faut apprendre à se connaître plus », plaide-t-il.

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