RÉPLIQUE

Maladie de Lyme, mythes et réalités

En réponse aux chroniques d’Isabelle Hachey sur les traitements de la maladie de Lyme parues les 18 et 20 juin derniers.

Je suis spécialiste des maladies infectieuses depuis 1997. Jusqu’à récemment, j’avais, sur la maladie de Lyme, les mêmes certitudes que la majorité de mes collègues.

Mes certitudes étaient bien appuyées par le guide de pratique de l’IDSA (lnfectious Diseases Society of America), qui sert de base aux « normes » des associations équivalentes au Québec et au Canada.

Selon l’IDSA, la maladie de Lyme serait une maladie simple, rare, difficile à acquérir, facile à éviter, simple à diagnostiquer et à guérir avec 28 jours d’antibiotiques au maximum.

Or, comme des centaines de médecins de première ligne et de spécialistes aux États-Unis et ailleurs, soutenus par des scientifiques et des chercheurs, j’en suis venu depuis deux ans à la conclusion que ce n’est malheureusement pas si simple.

J’étais sur les bancs de l’Assemblée nationale quand un groupe de patients est venu me visiter à l’automne 2017. Dans la foulée du dépôt de leur pétition et du travail de la commission de la santé de l’Assemblée nationale, j’ai dû me pencher sans a priori sur le sujet d’une maladie à laquelle je croyais être très rarement exposé dans Lanaudière.

Une revue des données de la littérature scientifique m’a fait réaliser qu’il y avait encore beaucoup d’inconnu et d’incertitudes au sujet de cette maladie. De nouvelles données remettaient en question notre approche diagnostique.

J’ai alors prêté une oreille plus attentive, sans jugement, à des malades qui se sont manifestés à ma clinique à la suite de la commission parlementaire tenue sur la maladie de Lyme en mars 2018. J’ai réalisé la complexité clinique des complications tardives de patients et patientes ayant reçu le traitement standard de l’IDSA.

Certains malades étaient dans un tel état de délabrement physique et psychologique qu’ils ont perdu leur emploi, parfois leur maison et leur conjoint, menant une vie ponctuée de fatigue profonde, de souffrances physiques et d’errance médicale prolongée.

Ces patients ont typiquement vu plusieurs médecins et ils prennent de deux à quatre classes de médicaments neurotropes depuis des années. Faute de diagnostic, divers spécialistes manifestaient leur perplexité, tout comme moi, devant la persistance de symptômes difficiles à cerner.

Statistiques déficientes

Puis j’ai appris en commission parlementaire que les statistiques sur lesquelles repose en principe notre suspicion clinique pour évaluer le risque de la maladie de Lyme chez un patient étaient déficientes. Les coupes en santé avaient entraîné en 2015 l’abandon par le Laboratoire de santé publique du Québec (LSPQ) de la surveillance active des tiques, nécessaire pour documenter la présence du risque sur le territoire.

La réalité de ces patients et les difficultés de diagnostic et de traitement de la maladie de Lyme sont maintenant très bien documentées dans un rapport déterminant produit par le U.S. Departement of Health (ministère de la Santé) pour le Congrès des États-Unis en novembre 2018.

Je convie le public et mes collègues médecins à la lecture de ce rapport du Tick-Borne Disease Working Group (TBDWG) présidé par le professeur John Aucott, spécialiste de la maladie de Lyme à la faculté de médecine de l’Université Johns Hopkins. Si le temps vous manque, comme c’est le cas pour mes collègues surchargés, je vous suggère au moins la lecture des pages 22, 44 et 56 qui décrivent trois cas illustrant les difficultés liées au diagnostic (p. 42) et à l’accès au traitement (pages 72, 73 et 75).

Ce rapport souligne, entre autres, qu’il n’existe pas de protocole unique, universellement efficace ou accepté pour le diagnostic et le traitement de la maladie de Lyme. 

Les incertitudes sont nombreuses et des guides divergents coexistent (l’IDSA et l’International Lyme and Associated Diseases Society-ILADS aux États-Unis, et le guide de la Haute Autorité de santé en France qui diverge aussi de l’IDSA).

D’autres cas

Inconnu, incertitudes et divergences ne sont pas uniques à la maladie de Lyme. On l’a connu dans le passé pour l’ulcère duodénal, le VIH, l’hépatite C, et j’en passe. Un autre exemple très actuel concerne l’IDSA elle-même, qui s’est dissociée pour divergence d’interprétation du guide international sur le Sepsis récemment établi par la Society of Critical Care Medicine américaine et la European Society of Intensive Care Medicine (ESICM).

Ce genre de divergence entraîne une question cruciale : faute d’études solides sur une divergence non résolue, qui décide alors du cours de traitement le plus approprié pour un patient ?

Selon le TBDWG, cela relève « du principe éthique de l’autonomie » en médecine contemporaine et « la décision appartient au patient en consultation avec son soignant ». L’IDSA le reconnaît aussi, mais curieusement dans une note de bas de page rarement notée par quiconque, car à la toute fin de la bibliographie de son guide qui fait tant controverse : 

« The Infectious Diseases Society of America considers adherence to these guidelines to be voluntary, with the ultimate determination regarding their application to be made by the physician in the light of each patient’s individual circumstances. »

Cela est une dimension déontologique incontournable qui est explicitée dans le Code de déontologie du Collège des médecins du Québec. L’article 49 souligne la nécessité de fournir l’information adéquate sur le manque de preuves scientifiques lorsque les traitements sont peu éprouvés et sur les risques ou les inconvénients qui pourraient en découler.

L’article 48 stipule que de tels traitements doivent être prodigués dans le cadre d’un projet de recherche. La prise en charge des patients à ma clinique respecte en tout point l’article 49. Et le projet de recherche requis par l’article 48 serait déjà structuré et soumis au Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens (CMDP) si l’hôpital n’était pas dans l’impossibilité de fournir une ressource clinique engagée et prévue en février 2019, mais toujours non disponible en raison de la pénurie de main-d’œuvre nécessaire à son remplacement dans le service de départ ! Nous redoublons désormais de vitesse et d’ardeur pour pallier ce problème important.

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