Chronique

Qui sauvera le Jardin Notman ?

C’est une histoire de patrimoine, de promoteurs immobiliers et de décisions nébuleuses. C’est une histoire de jardin composé d’arbres centenaires et transformé en zone résidentielle. C’est une histoire qui pourrait avoir une fin heureuse si on le voulait. La voici.

Rue Sherbrooke, entre Clark et Saint-Urbain, il y a une magnifique demeure. C’est la maison William-Notman, du nom d’un photographe montréalais qui l’a acquise en 1876. Cet Écossais de naissance meurt en 1891 au moment même où un garçon du nom d’Émile Nelligan découvre la poésie au collège Mont-Saint-Louis, situé non loin.

Tout juste derrière la maison Notman se trouve l’ancien hospice St. Margaret. Il fut érigé en 1894 et, jusqu’en 1991, il a accueilli des personnes en fin de vie (les deux bâtiments sont aujourd’hui occupés par la Maison du web et la Fondation Osmo).

On retrouve derrière ces deux magnifiques résidences le Jardin Notman. Ce terrain de 1000 mètres carrés contient une quarantaine d’arbres, dont plusieurs sont centenaires. On peut y voir des essences comme des érables argentés et d’autres, menacées, comme les chicots du Canada.

En 1979, des démarches ont été entreprises pour protéger le site. Les deux résidences ont d’abord été classées monuments historiques par le ministère de la Culture et des Communications (MCC). Puis, en 1984, une aire de protection a été décrétée autour de ces immeubles, y compris le jardin.

Jusque-là, tout va bien. Mais au début des années 90, le terrain délimitant le jardin a été vendu à des promoteurs. Peu après, pour des raisons qui demeurent obscures, cette parcelle a été zonée habitable. À quel moment a eu lieu la subdivision du lot ? Qui a permis ce zonage résidentiel ? Et à la demande de qui ? Je n’ai pu obtenir aucune réponse précise.

On se retrouve donc aujourd’hui dans une situation kafkaïenne où une zone résidentielle, aujourd’hui entre les mains d’un promoteur (il y a eu quelques propriétaires qui se sont succédé depuis 1991), est située dans une aire de protection. Tout projet proposé ne doit donc pas entrer « en conflit avec le bien protégé ».

Vittorio Tiramani est aujourd’hui le propriétaire du terrain et le président de la firme Développements Milton-Clark. Depuis 2013, il a comme projet d’y construire un immeuble de 36 condos sur cinq étages. Une demande d’autorisation pour démolir un petit bâtiment situé dans le jardin (garage) a été approuvée par le MCC en août 2016 à une condition : des mesures doivent être prises afin que les arbres soient préservés. L’entente prendra fin en août prochain.

Une demande de permis de construction a été déposée auprès de l’arrondissement du Plateau Mont-Royal. Elle est toujours en traitement.

C’est là qu’entre en scène Tony Antakly, citoyen qui habite juste en face de la maison Notman. En fait, M. Antakly est dans le décor depuis une quinzaine d’années. Avec les membres du Mouvement citoyen pour la préservation du Jardin Notman, il mène une lutte acharnée pour sauvegarder ce rare témoin naturel du Montréal du XIXe siècle.

Je serai franc avec vous, quand j’ai vu pour la première fois le jardin, je me suis demandé pourquoi des citoyens tenaient tant à le préserver. Il y a beaucoup d’espaces verts à Montréal, celui-ci n’est pas très grand et, dans un état d’abandon, il est devenu peu attrayant. Et puis, je me suis posé la question : est-ce qu’un jardin, au même titre que des bâtiments ou des monuments, a le droit d’être un bien patrimonial ? La réponse est oui.

Je comprends la situation malheureuse dans laquelle se retrouve le promoteur. Il a fait l’acquisition d’un terrain résidentiel dans le but d’y réaliser un projet immobilier. Mais en même temps, j’appuie entièrement la démarche menée par ceux qui veulent sauvegarder ce jardin qui pourrait retrouver son charme d’antan si on le voulait vraiment.

Il est minuit moins une pour le Jardin Notman. La Ville de Montréal a entre les mains un avis défavorable du Conseil du patrimoine de Montréal. Le maire Denis Coderre a à cœur ce dossier, m’assure son porte-parole, Marc-André Gosselin. Plusieurs élus, dont Alex Norris, conseiller de la Ville du district de Jeanne-Mance, dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, luttent également pour sa sauvegarde.

Avec l’aide de bailleurs de fonds, dont la Fondation Drummond, le Mouvement citoyen pour la préservation du Jardin Notman a offert d’acheter le jardin (l’évaluation municipale du terrain est d’environ 2 millions de dollars).

On mène également des pourparlers « positifs » avec le ministre de la Culture et des Communications, Luc Fortin. Le changement de ministre en février 2016 n’a pas favorisé ce dossier.

Les derniers recours possibles sont ceux-ci : que le MCC empêche le démantèlement du jardin (il demeure quand même dans une zone protégée), que la Ville fasse l’acquisition du jardin (l’arrondissement n’en a pas les moyens) ou qu’elle offre un autre terrain équivalent au promoteur afin qu’il puisse y construire son immeuble de condos.

Avant que minuit sonne, une manifestation devant le Jardin Notman, au 60, rue Milton, aura lieu aujourd’hui, à midi. Des citoyens viendront dire que le patrimoine n’est pas juste une affaire de vieilles pierres. Les arbres aussi sont des vestiges et des témoins de notre histoire.

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