Opinion : Agressions sexuelles

La lapidation à l'ère de Facebook

Cette année, plusieurs personnes sont venues chercher mon aide. Elles étaient désemparées. Que fait-on quand quelqu’un nous montre du doigt sur Facebook, déclarant que l’on est un agresseur sexuel dangereux contre qui la communauté doit se protéger ?

C’est un phénomène social fascinant : une personne (anonyme ou pas) accuse quelqu’un sur les médias sociaux d’agression sexuelle ; en quelques heures, la publication est partagée et commentée des centaines de fois ; de purs inconnus contactent l’employeur du violeur allégué pour réclamer son renvoi ; les messages de haine fusent de toute part ; la réputation du prétendu « violeur » est salie en quelques clics et il se retrouve isolé socialement.

Est-ce que les accusations sont fondées ? Personne ne le sait. Quels sont les faits et le contexte précis de l’histoire ? Aucune idée.

Est-ce que « l’agresseur » est vraiment coupable ? On le sait encore moins.

Et même si la personne qui dénonce, en son for intérieur, sait qu’elle n’était pas consentante et qu’elle se sent violée, cela ne veut pas dire que le « violeur » présumé avait un esprit coupable lors des faits… peut-être même que tout lui portait à croire que sa partenaire était consentante.

Les sorcières de Salem

Ce phénomène de lapidation publique (ou public shaming) me rappelle étrangement une tranche bien connue de l’histoire américaine : les sorcières de Salem.

En 1692, à Salem Village, au Massachusetts, quelques jeunes filles accusent certains concitoyens de les avoir envoûtées et d’être des sorciers, alliés de Satan.

La communauté prête foi aux accusations et condamne les personnes mises en cause à avouer les faits de sorcellerie ou à être pendues. Les accusations s’étendent rapidement. En moins de deux mois, environ 80 personnes sont arrêtées et mises en prison en attendant leur procès. Certaines meurent avant même d’avoir eu leur procès.

Tous les procès se terminent par la condamnation à mort de l’accusé pour sorcellerie, aucun acquittement n’est prononcé. Parmi les personnes pendues, un ancien policier qui a refusé d’arrêter davantage de prétendues sorcières.

Finalement, le gouverneur du Massachusetts met un terme aux procédures.

« Il apparaît préférable que dix sorcières suspectées puissent échapper, plutôt qu’une personne innocente soit condamnée », écrit le pasteur Increase Mather.

Cette affirmation constitue la base d’un des principes fondateurs des sociétés évoluées, soit la présomption d’innocence.

C’est bien triste de voir les humains, dans un mouvement d’entraînement, décider de se faire justice eux-mêmes. C’est violent. C’est injuste. Et les dommages sont concrets et irréparables.

Une publication injustifiée qui cherche à nuire à la réputation de quelqu’un en l’exposant au mépris ou à la haine est un acte criminel – article 301 du Code criminel, quelques articles seulement après l’agression sexuelle, justement.

Pensons-y donc à deux fois avant de suivre le troupeau…

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