Ski de fond

La Togolaise de Saint-Ferréol-les-Neiges

PyeongChang  — Elle a été choisie comme porte-drapeau du Togo aux cérémonies d’ouverture de Sotchi et de PyeongChang, dit sa biographie officielle. On aurait pu le donner à un autre athlète togolais, mais il n’y en a pas.

Mathilde Petitjean arrive avec ses skis dans la zone mixte. La voisine d’entraînement d’Alex Harvey vient de terminer 83e (sur 90) de la course de 10 km, sept minutes et demie derrière la gagnante, une Norvégienne comme l’indique son prénom, Ragnhild Haga, qui a survolé le parcours en 25 minutes.

Mathilde passe devant les journalistes norvégiens, suédois, finlandais…

Il n’y a pas de journaliste togolais aux Jeux de PyeongChang et, depuis Sotchi, « l’Africaine qui fait du ski de fond » n’a plus le même parfum d’exotisme pour les médias internationaux. Je l’intercepte sans difficulté.

« Ce n’est pas ma spécialité, le 10 km, je suis une sprinteuse, quoique ça n’a pas nécessairement été tellement mieux au sprint [59e sur 68] », me dit-elle en souriant.

Elle fait partie de ce contingent minuscule mais grandissant d’athlètes africains aux Jeux d’hiver. Ils sont 11, représentant sept pays – le Ghana, le Nigeria et ses fameuses bobeuses, le Kenya, Madagascar, l’Érythrée, l’Afrique du Sud et le Togo. On en parle encore comme de phénomènes étranges, et si leurs résultats ne sont pas spectaculaires, ils sont ici de plein droit. « Je me suis qualifiée, j’ai fait le standard olympique ! », insiste-t-elle. Ils s’entraînent sans soutien financier de leur pays, et c’est souvent davantage à la maison qu’on se demande ce qu’ils font dans un décor glacé.

« Ça fait plaisir de voir le groupe grandir, à Sotchi il n’y avait que trois pays africains ; j’ai reçu un mail de la skieuse de Madagascar, elle a vu sur ma bio qu’on habite à 5 km l’une de l’autre, près de La Roche-sur-Foron ! »

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Mathilde Petitjean est née au Togo, mais a déménagé à 3 ans en Haute-Savoie, une région en France où tout le monde faisait du ski de fond. Elle s’y est mise au point de joindre l’équipe de France junior. Elle n’a pas pu faire l’équipe de France senior. Après qu’elle a félicité un compatriote togolais sur Facebook pour une participation à la Coupe du monde, la Fédération togolaise de ski, qui compte au total de sept membres actifs, l’a approchée. C’est ainsi qu’elle a fini par devenir la première représentante de son pays aux Jeux d’hiver.

Les athlètes africains sont presque tous dans cette situation. Ils ont souvent la double nationalité et vivent dans un pays du Nord.

L’exception étant les skieurs sud-africains, qui peuvent s’entraîner dans les montagnes enneigées de leur pays. La skieuse de Madagascar, Mialitiana Clerc, 17 ans, a été adoptée par un couple de Français.

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Mais qu’est-ce donc qui a mené cette Franco-Togolaise à Saint-Ferréol-les-Neiges ? Elle n’est pas bien, la neige française ?

« J’ai été dans un tourbillon médiatique trois mois avant les Jeux de Sotchi, pendant et après aussi, j’ai donné énormément d’entrevues, j’ai été très exposée, alors que je suis plutôt timide… J’avais besoin de changer d’air », explique-t-elle.

« Je suis très bien accueillie par les skieuses, je fais plusieurs événements de Coupe du monde, les filles me connaissent et je suis une parmi tant d’autres.

« Mais autant j’ai reçu énormément de soutien au Togo, autant des gens ont critiqué le fait que je représente le pays. Ils disaient : on n’a même pas de neige au pays, on n’a pas à envoyer une skieuse aux frais du contribuable aux Jeux olympiques, quand on pourrait aider des athlètes du pays dans d’autres sports… Ça m’a fait mal. »

Comme quoi la mesquinerie sur les réseaux sociaux ne connaît pas de frontières.

« Je ne coûte rien au contribuable, je ne reçois pas un sou du Togo et je suis fière de le représenter. Être là dans le stade au milieu de tous les autres, seule athlète, porter le drapeau… Je sentais que j’avais tout le pays sur les épaules, c’est extraordinaire. »

Elle était donc de retour dans son village français, avec les bleus post-olympiques. Elle est tombée sur une vidéo du centre d’entraînement national Pierre-Harvey, au mont Saint-Anne.

« Je leur ai écrit, ils m’ont invitée, j’ai été accueillie comme une des leurs, tout le monde est vachement sympathique. Ça m’a touchée, l’accueil au Canada. »

Mathilde s’entraîne donc avec les filles de l’équipe nationale canadienne au mont Sainte-Anne. Louis Bouchard, entraîneur de Harvey mais superviseur de tout le programme national, me dit qu’elle apporte une énergie et une bonne humeur précieuses dans l’équipe. Se classerait-elle dans l’équipe si elle était canadienne ? « Non, elle est à peu près du niveau de la 5e ou 6e Canadienne en sprint », évalue-t-il.

En s’installant au mont Sainte-Anne en 2015, elle a réalisé qu’elle était presque la voisine d’Alex Harvey, qui l’impressionne manifestement, une sorte d’idole, en fait.

« Il est très simple, on lui parle et il répond très gentiment, il est vraiment simple même si c’est un grand champion !

— Et les Norvégiennes, ces déesses du ski de fond ?

— Avant d’aller sur le circuit de la Coupe du monde, j’étais très impressionnée, mais finalement, en les côtoyant, elles sont comme tout le monde. C’est à nous d’aller chercher les petites choses qui nous manquent et qui font la différence…

— Comme quoi ?

— Comme les skis ! Les compagnies fournissent aux meilleurs des skis “Coupe du monde”, elles essaient tous les nouveaux skis, elles choisissent. Moi, j’ai acheté les miens. »

Aucun manufacturier de skis ne semble désireux de commanditer la porte-drapeau togolaise, en effet, vu les ventes à Lomé et dans les environs…

Mathilde s’en sort avec une bourse de 25 000 $ de « Solidarité olympique », un programme du CIO.

Quand on sait l’armée de farteurs et de techniciens qui suivent les grandes équipes, comment fait-elle, seule sur le circuit ? Elle apporte sa cire ?

Pas tout à fait. Il y a un échange de bons procédés entre les deux équipes nationales. L’équipe canadienne s’occupe de farter ses skis et, en échange, elle emmène dans son équipe deux techniciens canadiens, grâce aux deux dossards qui lui sont octroyés.

Au début des Jeux, elle a reçu un message du président Faure Gnassingbé, appelant tous les Togolais à la soutenir et à « liker » sa page Facebook. « Je ne sais pas si c’est lui qui l’a écrit, mais ça fait plaisir. Je reçois des messages de partout au pays. »

Elle a quitté ce petit pays d’Afrique de l’Ouest toute petite, mais y retourne régulièrement. Sa mère y a des maisons d’hôte dans la région de son village natal, à Kpalimé.

« C’est un tout petit pays, mais il est magnifique, il y a tellement de contrastes… les plages et l’océan, les savanes, la jungle, le mont Agou, la plus haute montagne du pays. »

Dans ses yeux défilent tous ces paysages en rafale. Il me semble même avoir aperçu un baobab, deux zèbres et une antilope. Elle ira cet été.

Pour l’heure, tout est blanc autour de nous et elle va goûter à ces Jeux jusqu’à la toute fin, au dernier jour, dans ce stade balayé par des vents froids, quand elle va encore porter le drapeau du Togo et en faire fondre plusieurs.

Sa place, elle ne l’a pas volée.

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