ÉDITORIAL VICTOIRE DE GABRIEL NADEAU-DUBOIS EN COUR SUPRÊME

Oublions un instant GND

Oublions un instant Gabriel Nadeau-Dubois, si cela est possible, pour analyser calmement la décision de la Cour suprême. Le conflit étudiant a déjà été trop personnalisé ; pas besoin de le transformer en référendum sur celui qui n’est ni Lénine ni Gandhi.

La Cour suprême a donné raison hier à l’ex-porte-parole étudiant, qui était accusé d’outrage au tribunal pour ses propos tenus à RDI en mai 2012 (voir ci-contre). La majorité (cinq juges) a ainsi confirmé la décision de la Cour d’appel du Québec. Trois juges dissidents ont par contre soutenu le contraire, et un autre a refusé de trancher le débat pour des raisons de procédure.

Quand on prend la peine de lire le jugement, on constate qu’il est à la fois technique et sociopolitique.

Le raisonnement plus technique est celui de la majorité. En effet, la liberté d’expression n’est pas centrale dans la décision. Tous les juges étaient d’accord : on peut critiquer une décision du tribunal, mais on n’a pas le droit d’inciter à la violer. Est-ce toutefois ce que GND a fait ? Pour le savoir, deux choses devaient être vérifiées : s’il connaissait l’injonction, et s’il avait l’intention d’inciter à la violer. La majorité répond « non ».

Pour la connaissance, rappelons que des dizaines d’injonctions avaient été accordées. L’entrevue à RDI portait d’abord sur celle du cégep de Rosemont. Le plaignant n’a pas convaincu la Cour que GND était aussi au courant du détail de son injonction, qui touchait l’Université Laval.

Si GND ne connaissait pas l’injonction, il ne pouvait pas avoir l’intention de la violer, conclut la majorité. Elle avance par ailleurs que l’appel au « piquetage » était trop ambigu. Le terme pouvait être interprété comme un appel général à manifester, et non à bloquer les salles de cours.

Il est vrai que certains ont pu l’interpréter autrement. Mais l’outrage au tribunal est un outil « de dernier recours ». Il s’agit de la seule disposition du Code civil pouvant mener à la prison. Cela exige donc une preuve de nature criminelle, hors de tout doute raisonnable. Une telle démonstration, nécessaire pour restreindre la liberté de parole, n’a pas été faite, conclut la majorité. Elle prend la peine de préciser que le conflit étudiant « n’est pas l’objet du pourvoi ».

Les trois dissidents, eux, en tiennent compte. Certes, ces juges sont en désaccord au sujet des éléments plus techniques sur l’interprétation de la preuve. Mais leur raisonnement repose aussi sur une lecture sociale du conflit étudiant.

Les injonctions étaient souvent violées, et des « actes de violence et intimidation » se succédaient sur les campus. Une « crise de légitimité et de désobéissance civile […] empoisonnait le climat social », écrivent-ils.

Selon eux, c’est carrément l’État de droit qui était menacé. Dans ce contexte, une mesure d’exception comme l’outrage au tribunal se justifiait donc. Et la liberté d’expression ne pourrait être invoquée, car ce droit fondamental dépend de la primauté du droit. Sans État de droit, les droits eux-mêmes perdent leur sens, soutiennent-ils.

Qu’on soit d’accord avec la majorité ou la dissidence, une chose devrait faire consensus : judiciariser un tel conflit, c’est l’envenimer.

Les citoyens peuvent bien sûr en toute légitimité défendre leurs droits. Le problème n’est pas en soi le dépôt des injonctions. C’est qu’il n’existait plus d’autre recours. Comme l’avait résumé à l’époque le juge en chef de la Cour supérieure, François Rolland, « l’injonction n’est pas un mode de règlement des conflits ».

On n’aurait jamais dû avoir besoin de se rendre jusque-là.

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