Ironman de Mont-Tremblant

La vie, la mort, le sport

C’était la femme de sa vie. Un jour, dans des circonstances tragiques, elles ont découvert le triathlon. Leur vie est devenue un ménage à trois. Elles se sont dit qu’elles feraient un premier Ironman en 2015. Mais les choses ne se sont pas passées comme ça. Demain, à Mont-Tremblant, Brigitte Simard sera seule. Récit.

Ceux qui s’inscrivent à un Ironman doivent répondre aux questions usuelles : nom, âge, adresse. Mais le formulaire comprend une question intrigante : « Quelle est votre histoire ? »

Certains laissent cette case vide. Mais d’autres se racontent. Dans les réponses, il y a de tout. « J’ai survécu à une attaque de requin », a par exemple inscrit un homme de la Floride qui participera à l’Ironman Mont-Tremblant, demain.

Certaines histoires sont drôles, d’autres profondes. Certaines sont tristes. Puis il y a celle de Brigitte Simard.

« Je viens tout juste de perdre ma conjointe (cancer) avec qui je m’entraînais pour des triathlons longue distance depuis 2010. On avait un plan pour compléter un Ironman dans les 5 ans ! Je compléterai donc notre plan, pour moi et en sa mémoire. »

Quand Brigitte Simard, 52 ans, a reçu le courriel de La Presse, elle ne savait pas trop : devait-elle raconter cette histoire d’amour et de deuil ? Elle y a réfléchi, puis a accepté, pour se remémorer Chantale Larocque, celle qui a été « la femme de sa vie » pendant 20 ans. Celle qui l’est encore, en quelque sorte.

Elle ne voulait pas que ce soit triste. Elle voulait parler des beaux jours, d’avant la maladie, de la force de Chantale, de sa passion pour le sport, pour la vie. Elle voulait parler de l’Ironman qu’elle allait terminer demain, son premier, « leur » premier.

Elle ne voulait pas pleurer. Mais la tristesse débarque sans qu’on l’ait invitée. Brigitte a pleuré.

L’ACCIDENT DE LA 112

« On s’est rencontrées le 1er mai 1994. » Brigitte Simard commence l’histoire du début. Signe des choses à venir : elles se sont rencontrées en jouant au hockey.

« Ç’a été le coup de foudre », dit-elle. Après six mois, Brigitte et Chantale partaient en voyage plusieurs mois en Australie. Puis elles se sont acheté une maison à Laval, ont commencé à penser à des enfants.

« Des enfants, on avait le goût d’en avoir. On a cherché des solutions, mais finalement, le problème s’est réglé : nos sœurs, nos frères en ont eu. On a été gâtées. On s’est occupées de nos filleuls, nos nièces qu’on adore. On a été des matantes. »

Le sport était partout dans leur vie : elles allaient au gymnase, jouaient au hockey, faisaient du spinning. « Mais rien de sérieux, dit-elle. Maintenant, je comprends qu’on ne faisait pas vraiment du sport ! »

Tout ça a changé quand le triathlon est entré dans leur vie, le 14 mai 2010. Ce jour-là, à Rougemont, un groupe de six cyclistes a été percuté par un automobiliste somnolent sur la route 112.

Chantale, devant la télé, croit reconnaître le vélo d’une bonne amie, Christine Deschamps. « Elle m’a appelée, raconte Brigitte. Elle m’a dit : “Je reconnais le vélo de Christine par terre sur la chaussée.” C’était elle. On a filé à l’hôpital. On a vu Christine mourir. »

Ce jour-là, les deux femmes rencontrent les amis de Christine. La bande s’entraînait pour l’Ironman de Lake Placid. Les survivants décident de le faire malgré tout en mémoire des victimes.

Brigitte et Chantale, sous le coup de la tragédie, se rapprochent du petit groupe, commencent à s’intéresser au triathlon. Elles se disent que d’ici cinq ans, en 2015, elles feront un Ironman : 3,8 km de nage, 180 km de vélo et un marathon.

Elles ont commencé par de plus petites distances. « On s’est créé un petit groupe qui s’appelle “Les aspirantes”. On était 10 filles d’âge différent. On a fait le triathlon à Saint-Lambert. On s’est mises ensemble à la mémoire de Christine. »

Là, elles ont commencé à faire du sport « pour vrai ».

SON « JE »

La passion de Chantale Larocque pour le triathlon était aussi une façon de tromper la mort. Pas celle de son amie morte sur la 112, mais la sienne. En 2009, les médecins avaient découvert une bosse sous un sein. Le diagnostic est venu très vite, le cancer a été traité avec succès et Chantale se croyait guérie.

Les deux amoureuses pensaient que l’épisode était derrière elles. Elles vivaient intensément et se sont lancées dans le triathlon.

En 2013, Chantale est allée faire un demi-Ironman à Syracuse. Les choses ne se sont pas bien passées. « Ce n’était pas normal. À un moment, elle arrive et me dit : “Je n’ai plus d’air, l’air ne passe pas.” »

Quelques semaines plus tard, elle refuse de se rendre à l’entraînement dominical à la piscine. Elle n’en pouvait plus. « Elle qui aimait tant nager. Ce n’était pas normal. J’en pleurais. Je savais à ce moment-là que quelque chose n’allait pas. »

Chantale a donc accepté de retourner voir les médecins. Le cancer était revenu. 

« Sur le poumon, elle avait une masse. C’était rendu partout, sur la tête, partout. Nous deux, on a réalisé que c’est ici que ça s’arrêterait. »

— Brigitte Simard

La fin a duré des mois. Chantale a oublié l’Ironman. Elle a commencé à se faire à l’idée qu’elle allait mourir. Ce n’était pas facile, elle était si jeune.

« J’ai continué à m’entraîner, c’est ce qui me tenait en vie, raconte Brigitte Simard. C’était ma bouée de sauvetage, mon moment de méditation. Elle était ma plus grande admiratrice. Elle voulait tout savoir de mes entraînements. Moi, je me sentais coupable de faire ça alors qu’elle n’y arrivait plus. Un jour, elle m’a dit : “Je suis fière de toi, je veux que tu continues.” Ça m’a donné une telle motivation. Aujourd’hui, je pense encore à ces mots. »

En juin 2014, Brigitte a complété le demi-Ironman de Tremblant. Chantale est restée à la maison. Leurs amis lui envoyaient des messages et des photos pour la tenir au courant de la course de sa blonde.

Un mois plus tard, le 22 juillet 2014, elle est morte. Elle avait 48 ans.

Demain, Brigitte fera cet Ironman qu’elles rêvaient de faire ensemble il y a cinq ans. Elle aura la photo « de la femme de sa vie » sur son maillot. 

« Les gens me demandent si je sens sa présence. Non, je sens son absence chaque jour. Je commence à voir un peu mieux mon avenir. Mais je ne l’oublierai jamais. »

— Brigitte Simard

Parmi les autres participants se trouvera une amie de Brigitte, France Carignan, l’ancienne conjointe de Christine Deschamps, morte sur la route 112.

La vie, la mort, le sport… Maintenant, tout ça est indissociable pour les deux amies.

« Perdre ma complice de 20 ans... c’est comme le “nous” qui part d’un coup, explique Brigitte Simard. Penser au “je”, je ne sais plus comment. »

Et le triathlon dans tout ça ? Brigitte n’hésite pas. « Le triathlon, c’est mon “je”. »

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