Opinion : Industrie du taxi

Avec ou sans Uber, les défis demeureront

Le gouvernement du Québec déposera cette semaine un projet de loi sur l’industrie du taxi. Selon les fuites, celui-ci précisera que les véhicules d’Uber sont en effet des taxis et qu’ils sont assujettis aux mêmes normes.

On s’attend également à ce que le gouvernement permette aux chauffeurs de louer des permis par bloc d’heures et que les taxis puissent instaurer des tarifs flexibles, selon un modèle inspiré d’Uber.

Si une telle réforme répondra aux défis fondamentaux du secteur du taxi – soit de fournir un service fiable, sécuritaire et économique tout en assurant un salaire décent pour les chauffeurs –, il reste que les détails seront déterminants.

La réglementation des taxis au Québec, comme ailleurs en Amérique du Nord, est fondée sur des permis contingentés. Cela empêche une surabondance de taxis, mais a l’effet pervers de rendre les taxis rares pendant les heures de pointe ou dans certains secteurs.

De plus, la nature transférable de ces permis fait qu’ils sont devenus un bien de grande valeur pour leurs détenteurs. Ces permis sont par conséquent un fardeau pour ceux qui les louent ou qui empruntent pour les acheter (ou pour les gouvernements qui auraient souhaité les racheter).

L’application mobile d’Uber permet aux chauffeurs sans permis de taxi et aux passagers de se retrouver mutuellement. En outre, grâce à son système de tarifs flexibles (surge pricing), Uber attire plus de chauffeurs aux heures de pointe. Cela permet à Uber de combler une demande non remplie par les taxis conventionnels.

Bref, Uber contourne le système de permis en y substituant une application mobile, constituant ainsi un marché parallèle. Mais il faut se garder de conclure que ce marché parallèle n’est pas régulé. L’application mobile d'Uber de même que ses contrats avec les chauffeurs permettent à l’entreprise d’agir en véritable régulateur.

Soulignons que c’est un algorithme et non pas l’offre et la demande qui détermine les tarifs. D’ailleurs, Uber affirme que cette régulation privée est avantageuse pour les utilisateurs, car, outre les prix et la disponibilité des chauffeurs, son application (ainsi que ses propres inspections, vérifications et assurances) offrirait aux usagers une sécurité équivalente ou supérieure à celle des taxis conventionnels.

EN CONTRAVENTION DE LA LOI

Il ne fait aucun doute qu’en se conformant à la régulation d'Uber plutôt qu’à celle de l’État, les chauffeurs d’Uber contreviennent à la Loi concernant les services de transport par taxi. Néanmoins, Uber s’est constitué une main-d’œuvre au Québec, utilisant ses milliards pour fournir un véhicule à ses chauffeurs lorsque leur véhicule est saisi et pour payer la caution pour qu’ils puissent le récupérer par la suite. Uber a également attiré une clientèle fidèle avec ses prix concurrentiels (et un aveuglement volontaire par rapport aux taxes).

Uber menace de quitter le Québec si le projet de loi est adopté. En faisant cette menace, le directeur général d’Uber Québec, Jean-Nicolas Guillemette, prend le parti de l’innovation et accuse le ministre des Transports, Jacques Daoust, de vivre dans le passé. (Dans les pages de La Presse, Alain Dubuc qualifie le ministre Daoust de « mononcle ».) Pourtant, même si Uber est un innovateur, d’autres sont également capables d’utiliser la technologie mobile pour améliorer les services de taxi.

M. Guillemette accuse également le Québec de s’isoler. Pourtant, le Québec ne serait pas la seule juridiction à se doter d’une réglementation qui ne convient pas à Uber ; Uber s’est retiré l’année dernière de plusieurs villes en Allemagne, et de Calgary il y a quelques mois. D’ailleurs, le choix d’Uber de délaisser un marché où l’État ne se plie pas à ses demandes fait partie d’une stratégie plus globale, car ce geste démontre à d’autres juridictions qu’elle n’hésitera pas à partir si l’on n’accommode pas son modèle d’affaires.

Avec cette réforme, le gouvernement a l’occasion d’améliorer la réglementation des taxis en profitant des nouvelles technologies. Par exemple, des permis qui seront valides seulement pendant certaines heures, ainsi que les tarifs flexibles, pourront aider à combler la demande tout en limitant la contribution des taxis à la congestion.

Pourtant, ces technologies n’empêcheront pas qu’il y ait des choix délicats à faire. Les tarifs flexibles doivent être conçus pour protéger les consommateurs. En choisissant un système avec une seule catégorie (et un nombre limité) de permis, le gouvernement agit équitablement envers les détenteurs des permis actuels. Mais si le nombre de permis reste trop restreint, d’autres auront intérêt à contourner le système. Bref, avec ou sans Uber, la réglementation des taxis posera encore des défis.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.