Chronique 

Le débat faussé du décrochage au Québec (2) 

Pourquoi le Québec a-t-il soi-disant un si fort taux de décrochage ? Pourquoi le taux de diplomation en cinq ans dans nos écoles secondaires publiques stagne-t-il, pendant qu’il augmente ailleurs ? 

Je ne pensais pas revenir sur le sujet, mais vu la montagne de réactions à ma récente chronique, je n’ai pas le choix (1). J’y écrivais que notre écart abyssal avec les autres provinces n’existe pas. Que la comparaison nous est défavorable parce que plusieurs provinces mettent visiblement la barre plus bas pour l’obtention du diplôme secondaire.

La note de passage est de 50 % ailleurs au Canada plutôt que 60 % au Québec. 

De plus, nos élèves se classent très bien aux examens nationaux et internationaux, alors que les résultats sont un désastre dans la moitié des provinces, où, paradoxalement, la diplomation est souvent remarquable.

D’autres font le même constat

Ce n’est pas la première fois que je fais ce constat de l’écart diplomation-résultats entre les provinces. J’ai fait une analyse semblable publiée dans le journal Les Affaires il y a… 22 ans. Elle avait d’ailleurs été reprise par le Conseil supérieur de l’éducation.

Et je ne suis pas le seul à le penser. L’économiste Mario Jodoin, mieux connu sous son pseudonyme de blogueur Jeanne Emard, a fait une analyse qui va dans le même sens en 2016.

« Et si l’enseignement au Québec était plus exigeant qu’ailleurs ? […] Par exemple, les bons résultats des élèves du Québec, surtout en mathématiques, sont peut-être la conséquence du fait qu’ils auraient étudié en classe plus de concepts mathématiques dont la connaissance est testée par le PISA que les élèves des autres territoires. Ces exigences plus élevées pourraient expliquer le taux de diplomation plus faible au Québec, ce diplôme étant plus difficile à obtenir », écrivait le blogueur.

Entre autres, le chercheur a fait une découverte fascinante. Selon son analyse, les élèves qui obtiennent une note très faible en lecture aux tests PISA à l’âge de 15 ans ont une probabilité nettement plus forte d’obtenir leur diplôme au Canada anglais qu’au Québec.

Ainsi, parmi ces élèves très faibles, seulement 30 % obtiennent leur diplôme quatre ans plus tard au Québec, alors que c’est 70 % dans le reste du Canada (ROC). Est-ce parce que les élèves faibles du ROC s’améliorent de façon spectaculaire ou parce que les examens y sont plus faciles (2) ?

Sur le terrain, des praticiens tirent aussi des conclusions semblables. C’est le cas de Jean Provençal, qui a travaillé pendant 30 ans dans le milieu de l’éducation et qui a enseigné le français et l’anglais au Québec, en Ontario et au Yukon. Maintenant conseiller pédagogique en Estrie, Jean Provençal a contribué à la rédaction du programme de français langue seconde au Québec.

Selon lui, les épreuves de sanction obligatoires au Québec, qui valent 50 % de l’année, sont uniques et représentent un défi supplémentaire pour l’obtention du diplôme. De plus, certains résultats supérieurs des anglophones au Québec s’expliquent par des exigences moindres.

« Les exigences du cours de langue anglaise maternelle de 5secondaire sont très différentes de celles du cours de français langue maternelle en ce qui concerne le respect des conventions linguistiques, pénalisant ainsi la population francophone », m’écrit Jean Provençal, qui travaille à la commission scolaire anglophone Eastern Townships.

L’impact du privé

Oui, mais notre système public fonctionne vraiment de travers, disent certains, puisque le taux de diplomation en cinq ans stagne à 64 %, pendant qu’il augmente ailleurs au Canada. Cette sous-performance reposerait sur notre indifférence collective envers l’éducation, qui serait un phénomène culturel historique propre au Québec.

Permettez que j’émette une autre hypothèse ? 

Et si cette stagnation au public s’expliquait plutôt par l’absorption croissante, ces dernières années, de la crème de la clientèle par les écoles privées ?

En seulement trois ans, la proportion des élèves du secondaire qui fréquentent le privé au Québec a grimpé de 2,5 points de pourcentage, à 22,3 % en 2016. À Montréal, où le décrochage est le plus fort, le tiers des élèves francophones sont maintenant au privé, laissant au public des élèves moins favorisés, moins performants ou avec des troubles d’apprentissage.

Que la diplomation globale au public n’ait pas reculé dans ce contexte relève de l’exploit !

Sachez que les élèves en difficulté ou handicapés au public ont un taux de diplomation en cinq ans de 31 %, soit 40 points de moins que celui des élèves dits ordinaires (71 %).

Ailleurs, comme en Ontario, on ne vit pas ce phénomène de ségrégation croissante, puisque les écoles privées sont quasiment absentes, n’étant pas subventionnées.

Enfin, aidez-moi à comprendre comment on peut attribuer le décrochage à notre indifférence culturelle historique, alors que nos classes sont aujourd’hui bondées d’élèves des quatre coins du monde, avec une culture qui leur est propre.

Nul doute que le décrochage (ou la diplomation) doit demeurer un sujet de préoccupation important au Québec, notamment chez les garçons. Nul doute que nos résultats sont imparfaits. Et qu’on me comprenne bien : je ne milite pas pour une baisse des exigences.

Toutefois, pour améliorer la situation, il faut faire des constats justes et éviter d’amplifier le phénomène, afin de ne pas prendre de mauvaises décisions. Surtout, pour avancer, il faut cesser de faire des constats en se dénigrant, un réflexe qui n’existe pas ailleurs au Canada.

1. Je l’avais intitulée « Le faux débat du décrochage au Québec », et bien que je ne renie pas ce titre, il serait plus juste d’écrire qu’il s’agit d’un débat faussé, puisque ce n’est pas tant sa pertinence qui est remise en question que son ampleur.

2. Selon l’auteur, ces résultats sont tirés de l’enquête EJET qui suivait, sur une longue période, des jeunes ayant participé à la version de 2000 du PISA (enquête dite longitudinale).

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