Entrevue avec le ministre DE LA FAMILLE Luc Fortin

Du temps et de l’argent pour les parents

La priorité du nouveau ministre de la Famille ? « La conciliation famille-travail-études », répond Luc Fortin. « Parce que le principal défi des familles en 2017, c’est la question du temps. » Il est bien placé pour en parler : il attend un quatrième enfant ! Son plan de match ? Des congés supplémentaires pour les parents et des garderies en milieu de travail, par exemple. En plus du temps, il y a l’argent : un allègement fiscal attend les familles. Compte rendu de la première entrevue de fond accordée par Luc Fortin depuis sa nomination.

Pas que des vœux pieux

À la faveur du remaniement ministériel du 11 octobre, Luc Fortin est passé de la Culture à la Famille, troisième poste budgétaire du gouvernement après la Santé et l’Éducation, si l’on exclut le service de la dette. « C’est un ministère que j’incarne bien par ma situation familiale », fait-il valoir. Il a déjà trois enfants (2, 4 et 6 ans) et un autre est en route. Il se dit bien placé pour présider le nouveau comité ministériel sur la conciliation travail-famille-études, un mandat que lui a confié le premier ministre Philippe Couillard. « Je pense que je peux apporter une contribution significative. Comme jeune parent, c’est un défi que je vis tous les jours. Et j’ai eu un enjeu avec ça l’année passée qui a été très public… » Il est en effet tombé malade d’épuisement, écartelé par ses obligations familiales et professionnelles. Il a dû prendre un mois de congé pour retrouver ses forces. Luc Fortin le promet : le gouvernement ne se contentera pas de « vœux pieux » et fera « des gestes concrets pour la conciliation travail-famille ».

Du temps, du temps, du temps…

Il est acquis que le gouvernement Couillard va rouvrir la Loi sur les normes du travail afin de favoriser la conciliation travail-famille, a laissé savoir Luc Fortin. Sa collègue Dominique Vien (Travail) travaille sur le dossier. Québec pourrait ajouter des congés payés pour obligations familiales ou encore une semaine de vacances. Le premier ministre l’a évoqué lui-même au cours de la dernière année. Luc Fortin ne veut pas entrer dans les détails, se contentant de dire que les normes doivent offrir « plus de flexibilité » aux parents. La dernière réforme remonte à 2002. On avait fait passer de cinq à dix le nombre de jours de congé, sans salaire, pour obligations familiales. La loi actuelle prévoit trois semaines de congés payés après cinq ans de service continu (deux semaines pour un à cinq ans). Le patronat, opposé à de nouvelles contraintes légales, pourrait bien ne pas être en reste. « Est-ce qu’il y a des incitatifs qu’on peut mettre en place auprès des entreprises pour qu’elles facilitent cette conciliation-là ? On se penche sur cette question », signale Luc Fortin.

Nouvelle priorité dans l’attribution de places

D’ici aux élections, prévues dans un an, le ministre de la Famille entend donner la priorité à la création de garderies en milieu de travail. « Des projets nous ont été soumis [au Ministère], et j’ai demandé une attention particulière là-dessus », dit-il. Le Ministère est en train de réviser le plan de développement des places subventionnées. Il en reste environ 15 000 à créer d’ici 2020-2021, selon le plan initial, et les projets ont déjà été retenus. Or, il pourrait y avoir 6000 places de trop si Québec allait de l’avant comme prévu. « Il y a des régions qui sont en surplus de places, d’autres en déficit », d’où la nécessité de revoir le plan, soutient Luc Fortin. « Mon intention n’est pas d’annuler des projets, c’est de prioriser les endroits où il y a des besoins et peut-être même d’assouplir certaines règles pour créer plus facilement des places où les besoins sont très criants. » Le réseau de services de garde a atteint « une certaine maturité et il faut le consolider », selon lui.

Changements au projet de loi 143 ?

Premier dossier sur la table du ministre : le projet de loi 143 sur la qualité des services de garde déposé par son prédécesseur. Les consultations en commission parlementaire débutent cette semaine. Avec cette loi, Québec veut élargir son contrôle aux plus petites garderies. Seules celles qui accueillent plus de six enfants sont assujetties aux règles de l’État à l’heure actuelle. Les garderies qui accueillent plus de quatre enfants seraient désormais régies en vertu du projet de loi. Près de 2500 services de garde seraient visés. Cette mesure soulève toutefois de la grogne. Le ministre ouvre la porte à la revoir. « Des responsables de ces services de garde m’écrivent, mais aussi des parents. Beaucoup de députés m’en ont parlé. Est-ce que c’est vraiment une disposition qui va faire en sorte qu’il y aura plus de sécurité ou est-ce que ça n’aura pas l’effet inverse et fermer certains services de garde et faire en sorte que des enfants vont se retrouver sans ces places ? Je pense que ça vaut la peine d’avoir une vraie réflexion sur cette question-là », explique-t-il. Il se dit « ferme » sur l’objectif d’assurer la qualité des services, mais ouvre « un espace de discussion sur les moyens ».

Pour la « liberté de choix »

Le Parti québécois se range derrière les centres de la petite enfance (CPE). La nouvelle députée et porte-parole de la Coalition avenir Québec (CAQ) en matière de famille, Geneviève Guilbault, vante le « modèle d’affaires » des garderies privées non subventionnées, en plein essor depuis 10 ans en raison des bonifications apportées par les libéraux à un crédit d’impôt. Et Luc Fortin ? « Ce n’est pas à l’État d’exprimer une préférence ou de privilégier un modèle au détriment d’un autre. On veut préserver la liberté de choix aux parents », répond-il. Le projet de loi 143 prévoit de cesser de délivrer automatiquement des permis à tout demandeur, ce qui pourrait avoir pour effet de freiner le développement de garderies non subventionnées dans certaines régions. « Il ne faut pas que le système se cannibalise. Les permis qu’on va octroyer, c’est là où on a des besoins. S’il n’y a pas de besoins, on ne va pas créer des garderies et faire en sorte que d’autres garderies vont être à la recherche d’enfants ou fermer », explique-t-il.

Rester à la maison ?

Deux des enfants du ministre ont fréquenté une garderie en milieu familial. Ils n’y sont plus. Car sa femme est maintenant à la maison. « C’est un choix familial qu’on a fait », affirme Luc Fortin. Il insiste : « On est dans une perspective professionnelle où c’est moi qui suis sur le marché du travail. On ne sait pas, peut-être qu’un jour, c’est moi qui vais être à la maison. Je ne suis pas du tout fermé à ça. Je crois fermement dans le rôle égal des deux parents. » Que pense-t-il de l’idée de l’aile jeunesse de la CAQ de bonifier l’aide financière d’un parent qui décide de rester à la maison ? « C’est un débat qu’on peut peut-être avoir. Est-ce qu’on va aller dans cette direction ? Je ne peux pas vous dire que oui. Il ne faut pas perdre de vue qu’on cherche le plus possible à ce que les gens soient sur le marché du travail, mais en même temps respecter et accompagner les familles comme la mienne qui font ce choix-là », dit-il.

Vers un allègement fiscal

Pas question pour Luc Fortin de revoir la tarification des services de garde. « C’est un débat que nous avons eu et que nous avons tranché » à l’automne 2014, affirme-t-il. À l’époque simple député, il s’était opposé vivement à un premier scénario de hausse tarifaire, avant de militer pour l’option d’une modulation selon le revenu familial, option qui a été retenue. Les parents paient environ 150 millions de dollars de plus qu’avant. « Pour assurer la viabilité du réseau, c’était ce qu’on devait faire », selon le ministre. Avec la modulation selon le revenu, « il y a encore 34 % des familles qui paient la contribution de base, donc 7,75 $ par jour, et 60 % des familles qui paient moins de 9 $ ». La part des parents dans le coût total des services de garde atteint 20 %, comme au moment de la création du réseau en 1997, alors que le tarif était de 5 $, fait-il valoir. Si la tarification ne changera pas, le ministre confirme qu’un allègement fiscal destiné aux familles est en préparation. « Des choses sont en train d’être regardées aux Finances présentement. C’est une des priorités du premier ministre », signale-t-il.

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