demandeurs d’asile

fini les cpe

Un règlement sujet à interprétation a longtemps permis aux enfants de demandeurs d’asile de fréquenter des garderies subventionnées au Québec. Une directive du ministère de la Famille a officiellement fermé cette brèche, il y a trois mois. Ce qui a plongé de nombreuses familles dans le désarroi.

Pour passer l’entrevue d’embauche d’un centre de service à la clientèle où elle sollicitait un emploi, Ngozi s’est fait accompagner par une copine, qui a pris soin de son bébé de 9 mois pendant la durée de l’entretien.

L’entrevue s’est bien passée et Ngozi était prête à entrer au boulot lundi dernier.

Mais incapable d’inscrire sa fillette dans un CPE, la mère de famille monoparentale a été forcée de refuser le poste. Et de se rabattre sur ses prestations d’aide sociale pour survivre.

Cette Nigériane de 34 ans nous a demandé de ne pas révéler son identité, de crainte que cela n’ait un impact sur la demande d’asile qu’elle a présentée aux autorités canadiennes après être entrée au Canada par le chemin Roxham, en mars.

Comme tous les revendicateurs du statut de réfugié, Ngozi a reçu un permis de travail, qui lui permet de gagner sa vie en attendant que la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) prenne une décision sur son cas.

coincée à la maison

Elle a donc le droit de travailler. Et c’est ce qu’elle désire de toutes ses forces.

Mais le service de garde de la banlieue sud de Montréal qui s’était montré prêt à accueillir son enfant l’a rappelée après avoir pris connaissance de son statut. Les demandeurs d’asile ne sont pas admissibles au financement des services de garde, lui a-t-on expliqué.

Ngozi, qui partage son petit appartement de Longueuil avec une amie, ne comprend pas : « J’ai un permis de travail et je ne peux pas l’utiliser, je me sens handicapée ! »

Elle a envisagé d’inscrire sa fillette dans une garderie privée, mais en faisant le calcul, elle a réalisé que la somme d’argent dont elle disposerait pour vivre serait inférieure à ce qu’elle reçoit aujourd’hui de l’aide sociale. Bref, qu’elle n’en a pas les moyens.

« Pour le gouvernement, ce serait avantageux que je vive le moins longtemps possible de l’aide sociale, je pourrais payer mes impôts, contribuer à la société. »

— Ngozi

Au lieu de ça, Ngozi, qui est titulaire d’une maîtrise en administration, n’arrive pas non plus à suivre de formation professionnelle, ni même à s’inscrire à des cours de français. Mardi, elle a reçu un appel pour s’inscrire dans une classe de francisation où une place venait de se libérer – mais là encore, elle a dû décliner, faute de garderie.

Résultat : cette femme énergique qui a hâte de s’intégrer à la société reste coincée à la maison.

Confusion

L’article 3 du « règlement sur la contribution réduite » a longtemps prêté à confusion, confirme Alexandre Noël, porte-parole du ministère de la Famille.

En toute bonne foi, des CPE ont pu comprendre qu’un permis de travail rendait un parent admissible aux services de garde subventionnés.

Une note envoyée aux CPE le 10 avril dernier lève toute confusion à ce sujet. Un réfugié peut bénéficier des services subventionnés. Mais « la personne qui a demandé le statut de réfugié mais ne l’a pas encore obtenu n’est pas admissible au paiement de la contribution de base », précise la lettre de Famille Québec.

Des enfants qui avaient pu fréquenter des services de garde se sont alors fait montrer la porte. C’est le cas de deux fils d’un demandeur d’asile originaire de l’Angola, âgés de 3 et 4 ans, qui ont pu fréquenter une garderie dans le quartier montréalais de Saint-Michel pendant quatre mois avant d’en être expulsés dans la foulée de la décision du Ministère.

« Ç’a été un choc », dit l’homme qui gagne sa vie en travaillant dans un entrepôt, au salaire minimum.

« Une garderie privée me coûterait plus que tout ce que je gagne. »

— Un demandeur d’asile qui revendique le statut de réfugié

Sa femme s'occupe maintenant à temps plein de leurs cinq enfants.

D’autres familles sont prises au piège de l’aide sociale. Surtout s’il s’agit de familles monoparentales. « J’ai vu des femmes très qualifiées et professionnelles, qui restent coincées à la maison, parce qu’elles sont incapables de faire garder leurs enfants », déplore Rachel Shugart, porte-parole du Collectif Bienvenue, une ONG qui vient en aide aux nouveaux arrivants les plus vulnérables.

« Certaines ont même de la peine à prendre rendez-vous avec une banque alimentaire ; en même temps, aucun éducateur qualifié n’a accès à leurs enfants pour faire de la détection précoce », note Rachel Shugart.

Les délais s’allongent

La situation de ces familles est d’autant plus difficile que les délais de traitement des demandes d’asile s’allongent, souligne Rachel Shugart. « Autrefois, ça prenait quelques mois pour trancher sur leur statut, aujourd’hui, ça peut prendre jusqu’à deux ans. »

Période pendant laquelle des parents, bien qu’habilités à occuper un emploi, peuvent se trouver incapables de gagner leur vie, en absence d’accès à un service de garde à prix acceptable. Et pendant laquelle ces familles risquent de se retrouver dans les limbes, en marge de la société, au lieu de commencer leur intégration.

« Encore en décembre, ces familles pouvaient trouver une place en garderie subventionnée. Puis c’est devenu de plus en plus difficile, et finalement, elles sont devenues inadmissibles. »

— Rachel Shugart, porte-parole du Collectif Bienvenue

Une politique contreproductive, selon elle. « C’est contraire aux objectifs du gouvernement qui veut intégrer les nouveaux arrivants le plus rapidement possible. »

« Les gens se disent : “J’ai un permis de travail, mais je fais comment pour travailler ?” »

« Ça nous brise le cœur de dire non à toutes ces familles qui ont besoin de travailler et ne peuvent pas laisser leurs enfants à la garderie », renchérit Anna Florkow, directrice adjointe de la garderie Educaction, à Lachine, qui a reçu beaucoup de demandes de la part de demandeurs d’asile cette année.

« Nous étions prêts à les recevoir, mais on a reçu la lettre du Ministère… »

« Double discours »

La politique actuelle est incohérente, renchérit Stephan Reichhold, de la Table de concertation des organismes d’aide aux personnes réfugiées et immigrantes (TCRI).

« Le gouvernement tient un double discours : il encourage les demandeurs d’asile à travailler pour qu’ils ne restent pas [prestataires de] l’aide sociale, mais quand ils ont des enfants, ils sont coincés. »

C’est ainsi qu’Itohan, une Nigériane de 34 ans, qui a longtemps travaillé dans le secteur bancaire dans son pays, fait appel aux enfants de ses voisins pour faire garder le plus vieux de ses enfants, un garçon de 3 ans, quand elle a des choses à régler en ville.

Nous l’avons croisée alors qu’elle rentrait de la banque alimentaire, son bébé de 18 mois attaché dans le dos.

Elle n’a pas réussi à placer ses enfants en garderie subventionnée, mais ce n’est pas faute d’avoir essayé. « J’ai contacté plusieurs garderies, j’ai appelé le ministère de la Famille, j’ai téléphoné au bien-être social qui m’a renvoyée au ministère de la Famille. »

« J’ai travaillé toute ma vie, je ne suis pas venue ici pour mendier », plaide la jeune femme.

À la fin du mois de juin, elle a eu une offre d’entrevue pour un emploi en télémarketing. Elle l’a refusée, incapable de faire garder ses deux enfants autrement qu’au privé, à un prix prohibitif.

Itohan est elle aussi convaincue que ça coûterait moins cher au gouvernement de l’aider à assumer ses frais de garde que de lui verser de l’aide sociale.

Cette politique n’est à l’avantage de personne, résume Stephan Reichhold, de la TCRI. Ni du point de vue des coûts globaux ni du point de vue de la protection des enfants.

Des chiffres ?

Combien de demandeurs d’asile ont pu bénéficier des services de garde subventionnés, ou y sont encore inscrits aujourd’hui ? Aucune donnée n’existe à ce sujet, dit le ministère de la Famille. Ce dernier ne répertorie pas les familles en fonction de leur statut et l’admission d’enfants en attente de statut n’a jamais été expressément documentée.

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