Chronique

Se dire journaliste

Je suis journaliste, membre de la Fédération professionnelle des journalistes du Québec. Je fais des chroniques dans ce journal, qui m’impose un cadre déontologique et éthique. Mais il y a des chroniqueurs qui font des chroniques (écrites ou électroniques) et qui ne se disent pas journalistes. Personne n’est tenu d’avoir sa carte de presse pour chroniquer.

Je pense à Jean Lapierre, à Boucar Diouf, à Joseph Facal, à Jean-Jacques Stéliski. Il y en a d’autres.

Est-ce une tare de ne pas avoir de carte de presse et de faire des chroniques ? Pas du tout. Mon métier est un métier de cas par cas, au-delà des grandes considérations déontologiques. Je préfère Facal à bien des chroniqueurs détenant la carte de la FPJQ.

Ce qui nous amène à David Desjardins. Je l’ai déjà dit : un des chroniqueurs les plus doués des médias écrits québécois. Il a commencé au Voir, à Québec. Il est publié dans L’actualité. Et, jusqu’à cette semaine, il était publié tous les samedis dans Le Devoir.

Si je parle au passé, c’est que Le Devoir a largué David mardi parce qu’il a dit en entrevue avec La Presse ce qu’il ne cachait pas sur ses médias sociaux depuis quelques mois : parallèlement au journalisme, il exploitait une boîte faisant notamment dans le « marketing de contenu » à Québec, où il habite.

Épouvantable !, ont dit tous ceux qui ont quelque chose à dire sur ce sujet.

Plusieurs l’ont dit un peu fort à mon goût, j’y reviendrai dans quelques lignes…

Épouvantable ? Faut voir. Desjardins n’a pas écrit – jusqu’à preuve du contraire – sur ses clients. Il écrivait sur la-vie-qui-va. Pas sur l’insoutenable-beauté-du-fleuve-près-de-Sillery-où-justement-un-de-mes-clients-a-des-condos-à-vendre… Au contraire, il pourfendait l’ère du fric triomphant : pas sûr que ça le rendait populaire auprès des membres de la Chambre de commerce…

Il reste qu’un journaliste faisait aussi du marketing. Et selon tous les canons acceptés du journalisme, c’est un double emploi qui pose problème. Ou tu fais du journalisme, ou tu fais du marketing. Tu ne peux pas faire les deux. Alors Le Devoir a largué David. Et la FPJQ lui a refusé le renouvellement de sa carte de presse.

Transparence totale : je connais David depuis 2004, quand il était rédacteur en chef du Voir, à Québec. Je le vois deux, trois fois par année. J’ai signé la préface de son recueil de chroniques. Dans les journaux, la meilleure plume, c’est la sienne, depuis que Foglia a quitté le métier.

Dans cette affaire, je ne blâme personne. Ni Le Devoir, mis au courant des intérêts de son chroniqueur dans le marketing par La Presse, qui avait peu d’autres options, sinon de le larguer (même si David a avisé le journal dans sa déclaration d’intérêts récemment soumise… mais pas encore décachetée). Ni la FPJQ, gardienne de l’orthodoxie du métier.

Personne n’est obligé de se dire journaliste, disais-je. David a choisi de le faire. « Je crois à la mission de la FPJQ », m’a-t-il dit hier. Il a donc pris sa carte de presse. Et c’est ça que je trouve bête. N’eût été ce désir de pureté, celui de se dire journaliste, on n’aurait pas pu le pendre avec la petite mèche impure qui dépassait de son toupet de chroniqueur d’humeur.

Il m’a souvent parlé de la précarité du métier de pigiste dans le journalisme. Je sais qu’il a refusé des contrats payants à Montréal parce que sa vie est à Québec. 

Le problème de fond dans la saga qui a expulsé David Desjardins du métier de journaliste, c’est que le journalisme peut de moins en moins permettre à un gars de son talent d’en vivre décemment. Il y a dix, douze ans, un chroniqueur comme lui aurait assurément été embauché dans un journal pour faire ce qu’il fait si bien : écrire des chroniques.

Mais les médias sont de moins en moins riches, ils ont de moins en moins d’argent pour produire du journalisme. Il y a de plus en plus de contrats, de précarité et la sécurité d’emploi fout un peu plus le camp, un peu partout. Devinez combien il gagnait par chronique, au Devoir, comme pigiste ?

Réponse : 200 $, m’a-t-il dit. Mais il les mitonnait comme s’il était payé le quintuple.

À sa place, moi aussi j’aurais envisagé le « marketing de contenu », pour mettre du Nutella sur mes toasts et remplir le REEE de mon enfant…

Je ne blâme personne, non, mais il y avait quand même une atmosphère de lynchage sur le cas de Desjardins. Ça m’a rappelé le débat sur la carte de presse FPJQ refusée à Jean-René Dufort, pour manque de pureté journalistique. L’ironie, c’est que Jean-René est plus journaliste que 50 % de ceux qui en ont une, carte de presse…

Cousine de cette ironie, c’est que plusieurs des vrais journalistes qui ont pourfendu David pour son péché éthique – oui, j’ai lu vos commentaires sur les médias sociaux – sont dans la gang de ceux dont je me demande toujours, en voyant leur nom, à quand remonte la dernière fois qu’ils ont produit du journalisme intéressant. Rarement premiers sur la nouvelle, souvent premiers au micro du panel sur l’éthique des journalistes…

Quant à toi, David, petite note de service : en espérant te lire ailleurs bientôt, dude.

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