patrick lagacé espionné par la police

Une attaque en règle contre le droit du public à l’information

L’espionnage par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) des données téléphoniques de notre journaliste Patrick Lagacé constitue une attaque sans équivoque contre l’institution qu’est La Presse et contre toute la profession journalistique.

La base du travail du journaliste – et encore plus quand il s’agit de journalisme d’enquête – consiste à recueillir des sources crédibles qui sont souvent prêtes à prendre des risques pour nous révéler des faits troublants d’intérêt public, faits que les autorités ne souhaitent souvent pas voir étaler au grand jour. Sans sources, pas de journalisme digne de ce nom.

Savoir que le SPVM a ainsi pu avoir accès à l’ensemble des données téléphoniques de notre journaliste, donc à toutes ses sources, nous inquiète au plus haut point.

La liberté de la presse est un droit fondamental consacré par la Charte canadienne des droits et libertés et reconnu par la Cour suprême du Canada, qui a aussi confirmé que ce droit inclut la liberté de collecter de l’information.

La surveillance d’un journaliste constitue une atteinte claire à ce droit fondamental et à la protection des sources journalistiques ; cela compromet de manière irrémédiable le lien de confiance qui doit exister entre un journaliste et une source journalistique afin que les citoyens puissent être informés sur des sujets d’intérêt public et participer de manière éclairée à la vie démocratique du pays.

Malheureusement, au Canada, et particulièrement au Québec, les corps de police semblent tout simplement faire fi de ces règles fondamentales.

Ainsi, nous avons appris cette année que le grand patron de la Gendarmerie royale du Canada (GRC), Bob Paulson, avait lui-même autorisé la filature de notre journaliste Joël-Denis Bellavance dans l’espoir d’en apprendre plus sur ses sources, en 2008.

Il y a deux ans, deux agents de la Sûreté du Québec (SQ) sont aussi venus rencontrer et menacer Patrick Lagacé après l’avoir incité à se mettre à table au sujet de ses sources policières dans l’affaire Ian Davidson, ce policier corrompu qui s’est suicidé en 2012.

Toujours en 2012, la même SQ avait perquisitionné la résidence du journaliste Éric Yvan Lemay, du Journal de Montréal, à la suite d’un reportage révélant que des documents confidentiels traînaient dans les corridors d’hôpitaux.

En septembre dernier, la même SQ a saisi cette fois l’ordinateur d’un autre journaliste du Journal de Montréal, Michaël Nguyen, après la parution d’un reportage embarrassant pour la juge Suzanne Vadboncoeur.

Au lendemain de cette saisie, l’Assemblée nationale a d’ailleurs adopté à l’unanimité une motion dénonçant l’intervention policière.

Il est peut-être temps que nos gouvernants se commettent davantage en se penchant sérieusement sur le travail des policiers à l’égard des journalistes : il faut mettre un terme à ce qui a toutes les allures d’une véritable chasse aux sources journalistiques.

De graves questions

Dans le cas de Patrick Lagacé, nous sommes d’autant plus inquiets que le SPVM refuse de nous confirmer catégoriquement s’il surveille (ou s’il a surveillé) les données téléphoniques d’autres journalistes de La Presse et d’autres médias. Pressé de questions à ce sujet, l’inspecteur-chef Costa Labos, responsable jusqu’à la semaine dernière des affaires internes au SPVM et celui qui a autorisé la surveillance du téléphone de notre journaliste, a répondu : « À ma connaissance, la réponse est non, mais je ne peux pas le garantir à 100 %. Pour être sûr à 100 %, il faudrait que je vérifie chacun de nos dossiers… »

Vous comprendrez que La Presse se pose de graves questions : 

1. Est-ce que le SPVM en était à une première surveillance du genre à l’égard d’un de nos journalistes ? Cette pratique est-elle régulière ?

2. Y a-t-il d’autres journalistes dont le téléphone est présentement surveillé par la police ?

3. Qui a eu accès aux données téléphoniques de notre journaliste ?

4. Qu’en ont fait les policiers ?

5. Le chef du SPVM, Philippe Pichet, a-t-il autorisé la démarche de ses policiers ? S’il ne l’a pas fait, l’approuve-t-il ?

6. Le maire Denis Coderre est-il d’accord avec une telle méthode d’enquête qui pose des risques au travail journalistique et, ultimement, à notre démocratie ?

7. Le SPVM est-il allé plus loin ? A-t-il eu recours à de la filature ou de l’écoute électronique pour surveiller des journalistes ?

8. Enfin, nos gouvernants à Québec, plus particulièrement la ministre de la Justice, Stéphanie Vallée, le ministre de la Sécurité publique, Martin Coiteux, et le premier ministre Philippe Couillard, acceptent-ils de diriger la destinée d’une société où la police peut obtenir aussi facilement un mandat pour surveiller les journalistes ?

Pour notre part, nos lecteurs et nos sources doivent savoir que La Presse n’entend pas se laisser faire sans réagir. Le lien de confiance qui devrait normalement être à la base des relations entre le Service de police de la Ville de Montréal et une grande institution comme la nôtre est rompu.

Nous agirons désormais en fonction de ces nouveaux paramètres.

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