Course à pied et déficience visuelle

Cinq kilomètres dans le noir

Afin de comprendre les défis auxquels font face les personnes aveugles ou malvoyantes dans la pratique de la course à pied, notre journaliste a participé à la Course-Lumière, le 9 septembre, un bandeau sur les yeux. Avec l’aide d’un guide, il a effectué un parcours de cinq kilomètres dans le parc Maisonneuve.

Course à pied et déficience visuelle

Courir un bandeau sur les yeux

L’amplitude des premières foulées est raccourcie, la pose du pied au sol est incertaine, le style n’est certainement pas théorique. Bandeau sur les yeux, dans un parc Maisonneuve déjà plongé dans le noir, je m’élance en queue de peloton de la Course-Lumière, coorganisé par l’Association sportive des aveugles du Québec (ASAQ).

Je suis agrippé au coude de mon guide, David Bureau, et nous partons pour cinq kilomètres à travers les sentiers. L’objectif ? Courir et composer avec les mêmes défis que les personnes présentant une déficience visuelle.

Privé de ma vue – et d’images mentales à conserver –, les autres sens prennent rapidement le relais et, en particulier, l’ouïe. Derrière nous, deux jeunes femmes papotent pour passer le temps. À droite, les clés d’un coureur – ou d’une coureuse – se balancent bruyamment au rythme de ses foulées. Quelques voitures roulent décidément trop vite sur le boulevard Viau. Au fil des kilomètres, la respiration des participants se fait aussi de plus en plus forte. Sans réelle notion de temps ni d’espace, le moindre repère auditif est décuplé et livre sa part d’indices.

À intervalles réguliers, David décrit efficacement le parcours : les montées, les descentes, les plaques d’égout, les changements de surface, les virages à venir, le paysage (« On fait face au mât du stade) »… Malgré la concentration de participants, les obstacles sont tout de même moindres que lors de ses courses urbaines avec Nathalie Chartrand, directrice générale de l’ASAQ.

« Dans un circuit ouvert, je vais lui dire quand on va dépasser du monde, la prévenir de ce qui s’en vient, s’il y a des travaux, des fissures, des embûches, des changements de terrain. »

— David Bureau, guide

« J’essaie de dire l’essentiel pour qu’elle puisse relaxer, être détendue et profiter de la course. »

Complicité et confiance

Après un départ franchement lent, la tactique évolue. Plutôt que de rester englué derrière le peloton, nous nous déportons dans le gazon afin de faire quelques dépassements. « On va passer à gauche ; deux personnes », répète David chaque fois. Si le rythme s’accélère, c’est aussi parce qu’un certain degré de confiance – et de confort de ma part malgré quelques incartades – a été atteint. Entre un guide et son coureur, cette notion constitue la base de toute relation. « Oui, c’est toujours une question de complicité et de confiance. J’ai senti que tu m’as fait confiance et que tu as fait preuve d’adaptation. On a changé de côté, on est allés dans le gazon, on a accéléré. En même temps, tu avais confiance en tes propres moyens même si ta cheville a dû virer une fois ou deux. On a bien fait ça, on a quand même fait un bon temps. »

Le chronomètre de la puce indique 28:57, 5 minutes de plus que lors de mon dernier cinq kilomètres réalisé dans des conditions habituelles. Pour conserver l’effet de nouveauté, David et moi ne nous étions jamais entraînés ensemble. Tout juste nous sommes-nous permis de galoper pendant quelques centaines de mètres avant le départ. À cet instant, il en a surtout profité pour connaître mes ambitions, mon degré de conditionnement physique, voire mes craintes. Pour le reste, il m’a ensuite laissé le soin de m’adapter à la situation. 

« Il y a une connexion qui se fait. Dès que tu t’agrippes à moi, il y a la coordination des pas qui embarquent, le son de ma voix et le rythme. J’essaie de ne pas trop m’ajuster à l’autre parce que, sinon, ça fait beaucoup. Ça fait deux personnes qui doivent s’ajuster alors que, dans le fond, je suis en avant et je donne le rythme. Je me suis juste assuré que ça te convenait, j’ai choisi l’approche d’être très vigilant et aux aguets. Par exemple, tu écoutais les conversations, moi, je n’ai rien entendu. »

Du ski à l’asphalte

C’est sur les pentes de ski que David, fondateur du snack-bar L’Armoire à Glaces qu’il a vendu cette année, a commencé son expérience en tant que guide. « Comme j’étais aussi moniteur, c’était une manière de partager ma passion pour le ski et de pouvoir décrire la montagne », raconte-t-il. Puis, en 2012, il a rencontré Nathalie Chartrand, qui cherchait un partenaire d’entraînement afin de préparer un demi-marathon. « J’avais de l’expérience et j’ai décidé de faire de la course. Ça m’entraîne, mais je ne vois pas ça comme du bénévolat. Aujourd’hui, je vois Nathalie comme une partenaire de course et une amie. »

— Pascal Milano, La Presse

Course à pied et déficience visuelle

Un duo à l’entraînement 

Victime d’un accident de travail l’ayant laissé avec un sévère handicap visuel, Frédéric Gauthier s’entraîne aujourd’hui grâce à Stéphanie Carrasco, qui joue pour lui le rôle de guide. Nous les avons accompagnés lors d’une sortie et de la Course-Lumière.

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