Analyse

L’alter ego de Philippe Couillard dans l’embarras

Selon le code, hermétique, de Loft Story, on dirait qu’il est en « ballottage ». Ce n’est pas la première fois depuis deux ans. Mais au cours de dernières semaines, la pression a augmenté énormément sur le chef de cabinet de Philippe Couillard, Jean-Louis Dufresne.

Il n’est pas arrivé souvent que le chef de cabinet, normalement un collaborateur de l’ombre, devienne nommément la cible de l’opposition à l’Assemblée nationale. La controverse autour des processus mis en place au ministère des Transports est devenue une bouillie inintelligible – ce qui est clair, en revanche, c’est que l’opposition a choisi Dufresne comme le maillon faible dans cette affaire obscure où on ne sait plus qui a parlé à qui, et quand.

Curieux tandem au sommet du gouvernement. Couillard et Dufresne se côtoient depuis leur enfance avenue Davaar, à Outremont. Il y a près de 50 ans, ensemble, ils ont sauté sur la glace, littéralement. Avec son visage ovale et sa petite stature, Dufresne était l’émule d’Yvan Cournoyer, et jouait à l’avant comme l’impétueux numéro 12. Plus pataud, Couillard, déjà grand format, passait le balai à la défense.

Après ses études en anthropologie, Dufresne atterrit comme recherchiste au cabinet de Robert Bourassa, un protégé du chef de cabinet à l’époque, John Parisella. Ce père de cinq enfants se retrouve au chômage un peu après l’arrivée de Daniel Johnson à l’opposition – un accrochage avec le chef de cabinet, Jacques Dupuis. Parisella le récupère à l’agence BPC où il sera pendant près de 20 ans rédacteur derrière « Mr Good Guy », Parisella. À la Santé, Couillard n’oubliera pas son vieil ami ; BCP obtiendra un lucratif contrat de vigie internationale lors de la pandémie fantôme de grippe aviaire.

Quand il se présente pour la première fois devant son caucus, nouvellement élu dans une élection partielle dans Outremont, Couillard présente immédiatement son chef de cabinet, Jean-Louis Dufresne : « quand vous lui parlez, c’est à moi que vous parlez », résume Couillard. À la différence de Jean Charest qui cultivait une dizaine d’éminences grises auprès de qui il testait ses impressions, Philippe Couillard passe d’abord et avant tout par Dufresne. Le premier ministre ne lit même pas sa revue de presse quotidienne et compte sur son collaborateur pour lui résumer ce qu’il doit connaître – Robert Bourassa, lui, se faisait livrer en pleine nuit les journaux du matin. Seul le ministre Jean-Marc Fournier a autant l’oreille du patron.

Dès les premiers mois, la solidité du lien entre Couillard et Dufresne sera testée. Présent dans le war room libéral durant la campagne, Daniel Johnson apprécie davantage Christian Lessard, un communicateur issu du cabinet Charest – ils font du covoiturage durant toute la campagne électorale. Durant la campagne de 2014, Lessard sera le grand timonier, Dufresne sera relégué aux stratégies de communication. Après les élections, on s’agite encore pour déloger Dufresne, pour le remplacer par Lessard ou par Pietro Perrino, un homme de confiance de Daniel Johnson. Mais Couillard ne veut rien savoir.

LE RENDEZ-VOUS DE LUNDI

Une autre manche se jouera lundi soir, au Manoir Montmorency, près de Québec. Les députés ont demandé qu’une réunion de caucus, sans la présence du personnel politique, permette de faire le point en ce milieu de mandat. La réunion, autour d’un souper, était prévue depuis plusieurs semaines, avant les crises d’Uber et du ministère des Transports. Reste à savoir si les mutins d’opérette auront le courage d’égratigner, visière levée, l’alter ego du premier ministre. 

Dufresne, dit-on, taxe volontiers de « nervous Nellies » ces stratèges aux genoux flageolants souvent confondus par des sondages, perpétuellement au beau fixe.

Sur la colline parlementaire, les doléances quant à la gestion des crises par le cabinet de Philippe Couillard se multiplient. Les récentes bavures touchant le ministère des Transports sont un autre exemple où en haut lieu, « on a échappé le ballon ». Les critiques étaient acerbes, a-t-on appris, quand un groupe d’anciens apparatchiks du PLQ s’est réuni la semaine dernière, dans le Vieux-Montréal, pour évoquer le référendum du 20 mai 1980.

C’est un lieu commun que de dire que le chef de cabinet du premier ministre n’est jamais populaire. Autocrate et cassant, Mario Bertrand a occupé la fonction de 1986 à 1990 sous Robert Bourassa. Daniel Gagnier, plus affable, a fait le même travail pour Jean Charest. Les deux hommes étaient davantage respectés que Jean-Louis Dufresne, expliquent les apparatchiks libéraux. Souvent, Dufresne verse dans le micromanagement, s’acharne sur un arbre au lieu de regarder la forêt, une source, estime-t-on, de la gestion à l’évidence chaotique des dernières crises. Des ministres se sentent largués – François Blais a été poussé pour porter le projet de loi 86 sur la réforme scolaire et, du jour au lendemain, on a tout envoyé à la déchiqueteuse, même si ces orientations avaient été décidées par le Conseil des ministres. On a envoyé de la même manière aux oubliettes le projet de réforme de la fiscalité, parrainé par Carlos Leitao ; seul Jacques Daoust a tenu tête au cabinet du premier ministre en défendant bec et ongles le cap qu’il avait choisi dans le dossier Uber.

Dufresne n’a pas la cote auprès des chefs de cabinet des ministres, il est perçu comme un patron dur, sans empathie pour ces officiers qui font de longues heures, souvent aux dépens de jeunes familles. Une convocation à 7 h du matin pour une réunion sans déjeuner avait fait grincer des dents, il y a quelques semaines. Certains auront, ostensiblement, apporté leurs muffins. Les choses ne se sont pas améliorées depuis. Il faut dire que les états-majors des ministres manquent cruellement d’expérience.

Mais un autre facteur viendra conforter Jean-Louis Dufresne dans ses fonctions : personne d’autre, dans la sphère politique, n’a un lien aussi fusionnel avec Philippe Couillard. Pour jouer un rôle aussi stratégique auprès d’un politicien, dans ce monde qui fourmille de décisions à prendre – toujours rapidement – , il faut connaître à l’avance l’opinion du patron. Sans même lui parler.

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