Depuis le mois dernier, la belle unanimité ne tient plus au sein des quatre plus importantes entreprises de télécoms au Québec dans le dossier de la réglementation de Netflix.
En 2009, le « Big 3 » des télécoms (Bell, Rogers, Telus) et Québecor demandaient tous de ne pas réglementer les nouveaux médias. Le mois dernier, Bell et Rogers ont fait volte-face : il faut réglementer les médias numériques comme Netflix, font-ils valoir désormais. Québecor et Telus continuent de plaider pour le maintien de l’ordonnance d’exemption des médias numériques.
Bell et Rogers, les deux plus importantes entreprises de télécoms au pays, ont exprimé leur nouvelle demande au Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) le mois dernier dans le cadre d’une consultation du CRTC à la demande du gouvernement Trudeau sur les modèles de distribution de l’avenir. Ce rapport est consultatif : le CRTC n’y sera pas lié et n’a pas dans ses plans actuels de revoir l’ordonnance d’exemption, comme l’a indiqué le président du CRTC Ian Scott à La Presse l’automne dernier. Ottawa révisera toutefois la Loi sur la radiodiffusion.
Rogers propose néanmoins au CRTC d’instaurer pour les médias numériques un système de contribution au contenu canadien similaire à celui en vigueur pour les chaînes de télé. Rogers estime que l’entente de 500 millions sur cinq ans conclue entre Netflix et le gouvernement fédéral est « quelque peu inadéquate ». Rogers propose un système selon lequel Netflix paierait environ 230 millions par an en contenu canadien.
« Continuer d’accabler les diffuseurs avec un cadre réglementaire duquel les médias numériques ont été exemptés n’est plus un modèle juste ou raisonnable. »
— Rogers, dans la demande au CRTC
Rogers suggère que les médias numériques faisant des revenus annuels supérieurs à 100 millions de dollars aient à contribuer à du contenu canadien. Le taux initial serait de 15 % des revenus, jusqu’à 30 % des revenus pour une entreprise générant des revenus annuels de 750 millions. À titre de comparaison, Rogers, Bell et Corus doivent dépenser en contenu canadien 30 % des revenus annuels de leurs chaînes de télé anglophones. Du côté francophone, ce pourcentage varie de 26 % à 45 %.
Citant un rapport de la Banque Scotia, Bell (BCE) estime que Netflix a environ 6 millions d’abonnés au Canada, soit plus de deux fois plus d’abonnés que Bell. « Si Netflix était considérée comme une entreprise de distribution de contenu, elle serait la plus grande entreprise du genre au pays, écrit Bell au CRTC. […] Nous ne pouvons plus prétendre que ces services en ligne ne concurrencent pas les diffuseurs traditionnels. »
Québecor contre
Depuis l’automne dernier, Québecor – son grand patron Pierre Karl Péladeau en tête – dénonce sur toutes les tribunes la décision du gouvernement Trudeau de continuer à ne pas forcer les entreprises étrangères comme Netflix à percevoir la TPS sur leurs abonnements au Canada. « [Une décision] au détriment des artisans de notre télé. On ne peut pas laisser faire ça. […] Pour notre culture, notre télé doit rester forte », a dit M. Péladeau dans le cadre d’une campagne publicitaire du Groupe TVA.
Or, sur le plan de la réglementation des télécoms, Québecor ne veut pas que Netflix soit obligé de financer du contenu canadien comme le font les chaînes canadiennes de télé. Au contraire : Québecor demande plutôt au CRTC d’aller « vers la déréglementation et l’allègement réglementaire » pour les groupes télé comme le Groupe TVA, « afin de concurrencer à armes égales ces entreprises étrangères qui ne sont assujetties à aucune obligation réglementaire ou fiscale », écrit Québecor au CRTC.
« Au lieu de réglementer les services étrangers, nous avons toujours demandé au CRTC de faire confiance aux entreprises locales. »
— Québecor
Telus a essentiellement la même position que Québecor. Les deux entreprises de télécoms estiment entre autres qu’il est loin d’être sûr que le CRTC pourrait obliger les géants étrangers comme Netflix à se soumettre aux règles canadiennes.
Bell et Rogers sont aussi en faveur d’un assouplissement réglementaire général du milieu des télécoms, mais les deux entreprises croient que Netflix doit aussi être réglementé.
« Absurde », disait Péladeau en 2009
En 2009, le « Big 3 » et Québecor demandaient de façon unanime au CRTC de laisser les médias numériques opérer sans réglementation.
« Vouloir réglementer les nouveaux médias sur une base géographique est aussi absurde que de penser pouvoir combattre les gaz à effet de serre à l’intérieur de frontières », disait Pierre Karl Péladeau, président et chef de la direction de Québecor, lors d’une audience du CRTC en mars 2009.
En 2009, le CRTC a renouvelé les ordonnances d’exemption des médias numériques. Un an plus tard, Netflix faisait son entrée au Canada.