Médias

À la recherche de la formule gagnante

Comment convaincre les gens de s’informer à l’heure où ils songent à aller au lit ? C’est le défi des deux principaux réseaux de télévision généralistes, qui ont vu leurs cotes d’écoute diminuer d’année en année à 22 h.

L’époque où une partie du Québec était rivée devant la grand-messe du Téléjournal de Radio-Canada est bel et bien révolue, tout comme celle où le bulletin de fin de soirée de TVA attirait 1 million de téléspectateurs. D’abord, les gens se couchent plus tôt qu’avant. Ensuite, l’arrivée des chaînes spécialisées et des enregistreurs numériques, qui permettent de regarder les émissions en différé, ont bouleversé les habitudes d’écoute.

Enfin, l’arrivée d’Éric Salvail sur V à 22 h a définitivement modifié la donne, selon Francine Marcotte, vice-présidente et directrice de Cossette Média. « En mode Salvail gruge l’auditoire des bulletins de nouvelles, surtout celui de TVA, qui a perdu 28 % de son auditoire depuis l’automne 2012, alors que le Téléjournal, lui, a maintenu le sien. TVA n’avait pas le choix, il devait réagir. »

Cette semaine, les deux réseaux ont donc lancé une nouvelle formule à 22 h. À Radio-Canada, on a choisi de couvrir moins de nouvelles, mais de les approfondir. On propose aussi de grands dossiers, comme celui sur la retraite présenté la semaine dernière sur toutes les plateformes du diffuseur public.

Du côté de TVA, on a allégé la formule du bulletin traditionnel. L’animatrice ne lit plus les nouvelles, elle échange avec une équipe de commentateurs sur un ton qui se veut léger et convivial.

La première, mardi dernier, a suscité scepticisme et hilarité dans les réseaux sociaux en raison des nombreux accessoires utilisés pour « illustrer » la nouvelle (cône orange, balle de tennis et boîte de sardines), qui ont volé la vedette aux commentateurs. Le lendemain, TVA avait déjà donné un sérieux coup de barre. Il reste que les deux formules sont diamétralement opposées.

ET LA BONNE FORMULE EST…  ?

Mais que veulent les téléspectateurs à cette heure ? Souhaitent-ils qu’on leur rappelle les grands titres de la journée ou qu’on leur explique un dossier en profondeur ? Souhaitent-ils de l’analyse ou du commentaire ?

« Les gens veulent comprendre. Je ne crois pas un instant que les gens ont suivi l’actualité toute la journée et qu’ils sont déjà informés quand ils s’assoient devant leur téléviseur. C’est une minorité qui a les yeux rivés sur son téléphone intelligent pour suivre les manchettes. »

— Pierre Barrette, professeur à l’École des médias de l’UQAM

Les bulletins de nouvelles, dans leur forme actuelle, remplissent-ils leur mission ? On peut se poser la question, estime Pierre Barrette. « En choisissant de consacrer une quinzaine de minutes chaque soir au sujet de la retraite, Radio-Canada écarte d’autres nouvelles, note-t-il. De son côté, TVA veut faire “une télé qui nous ressemble”, donc on choisit des sujets populaires, qui plairont au public. Quand on fait ce genre de sélection démagogue, on laisse un grand nombre de choses dans l’ombre. »

PARTOUT PAREIL

Malgré tout, selon Francine Marcotte, de Cossette Média, la case horaire du bulletin de nouvelles de fin de soirée demeure convoitée. « C’est une émission regardée par les “influenceurs” et les décideurs. Ça demeure une émission prestigieuse où les annonceurs souhaitent être vus. »

On parle tout de même d’un public vieillissant, âgé en majorité de 55 ans et plus. Comment le rajeunir ? Aux États-Unis, le réseau ABC vient de confier son bulletin de nouvelles du soir (dont l’auditoire a un âge moyen de 63,5 ans) à David Muir. À 40 ans, il est le plus jeune présentateur jamais embauché en 50 ans. Le New York Times le décrit comme un homme accessible qui « twitte durant les pauses » et qui « ne craint pas de partager ses opinions et ses observations dans les réseaux sociaux ». De son côté, le présentateur des nouvelles de NBC, Brian Williams, a déjà fait quelques apparitions dans la sitcom 30 Rock. On est loin des anchormen froids et détachés.

Mais est-ce suffisant pour séduire les jeunes qui s’« informent » désormais chez Jon Stewart, Stephen Colbert ou John Oliver aux États-Unis (et Infoman chez nous), ou qui visionnent avidement les reportages de Vice News sur YouTube ?

En Grande-Bretagne, selon le Financial Times, les producteurs de nouvelles tentent toutes sortes d’expériences pour attirer les jeunes auditeurs : Channel 4 envoie un courriel quotidien à ses abonnés pour leur rappeler de regarder les nouvelles à 19h et la BBC publie de courtes vidéos de 15 secondes sur Instagram. Plus de la moitié des Britanniques regardent encore les nouvelles en soirée, mais, comme ici, ils sont surtout âgés de plus de 50 ans.

Et si le bulletin de nouvelles de fin de soirée était tout bonnement voué à disparaître avec le vieillissement de la population ?

« Je ne crois pas, estime André H. Caron, professeur au département de communication de l’Université de Montréal. Les jeunes s’intéressent à l’information, même si, à leur âge, ils s’informent de manière superficielle. Un jeune qui ne regarde pas les nouvelles pourra très bien adopter cette habitude plus tard, quand il sera en couple, aura des enfants et que son rythme de vie aura changé. C’est une habitude qui s’acquiert. »

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