États-Unis  Investiture démocrate

La campagne « silencieuse » d’Hillary Clinton

NEW YORK — C’est à se demander si les journalistes québécois n’ont pas plus de poids que leurs collègues américains.

Souvenez-vous : le jour du lancement de sa dernière campagne électorale, Pauline Marois avait refusé de répondre aux questions des membres des médias, afin de faire passer son message sans filtre. Mais face au tollé journalistique, elle n’avait pas tardé à abandonner cette stratégie. Dès le lendemain, elle tenait un point de presse de plus de 40 minutes et promettait de se prêter à un échange quasi quotidien avec les représentants du quatrième pouvoir.

Or Hillary Clinton, candidate à la présidence américaine, vient de passer 28 jours (ou 41 500 minutes, selon le calcul d’un journaliste excédé) sans répondre à une seule question de la presse. Bien sûr, elle n’est pas chef d’un gouvernement sortant, contrairement à l’ancienne première ministre péquiste. Mais sa stratégie de tenir les journalistes à distance n’a pas moins frustré ces derniers. D’autant plus que cette approche pourrait marquer un tournant dans les relations entre la démocrate et les médias après deux décennies de rapports difficiles, voire hostiles.

« Combien de temps Hillary peut-elle rester silencieuse ? »

— Un animateur de CNN, une pointe d’anxiété dans la voix, à une table ronde de journalistes, le 15 mai dernier.

Deux semaines plus tôt, MSNBC, une des chaînes rivales de CNN, avait déjà promis à ses téléspectateurs un topo sur « les dernières nouvelles concernant la campagne silencieuse d’Hillary Clinton ».

Ce ne sont pourtant pas les questions qui manquaient. En se basant sur des extraits d’un livre à paraître intitulé Clinton Cash, le New York Times a publié fin avril un long article sur les liens potentiels entre les intérêts de certains donateurs de la Fondation Clinton et le rôle d’Hillary en tant que secrétaire d’État.

Le Washington Post et le Wall Street Journal ont renchéri en rapportant que les Clinton avaient reçu plus de 25 millions de dollars pour plus d’une centaine de discours prononcés depuis début 2014. Détail piquant : le 9 juin 2014, Bill et Hillary ont empoché 700 000 $ pour trois discours. La veille, lors d’une interview diffusée sur ABC, l’ex-première dame avait affirmé que son couple avait quitté la Maison-Blanche « non seulement fauché mais endetté ».

« AMÉRICAINS ORDINAIRES »

Aux soupçons d’affairisme s’ajoutaient des questions persistantes sur les courriels et les positions d’Hillary Clinton concernant divers dossiers importants, dont le Partenariat transpacifique, un accord de libre-échange géant qui suscite l’opposition de la gauche démocrate.

Mais la démocrate n’a pas daigné répondre à des questions sur ces sujets pendant près d’un mois, s’en tenant à des rencontres avec des petits groupes d’« Américains ordinaires » et à deux discours sur des thèmes majeurs (le système de justice et la réforme de l’immigration). Les médias n’ont pas été les seuls à critiquer cette approche.

« Vous ne pouvez pas atteindre la présidence en suivant un script, en vous plaçant dans une bulle protectrice et en interagissant seulement avec des gens qui sont d’accord avec vous. »

— Jeb Bush, candidat républicain non déclaré

En jetant un coup d’œil aux sondages récents, Hillary Clinton a peut-être réagi aux critiques des journalistes et des républicains par un haussement d’épaules. Songez un peu : le pourcentage d’Américains qui ont une bonne opinion d’elle a augmenté de neuf points d’avril à mai, selon un baromètre New York Times–CBS News. Et ce, malgré les révélations sur son utilisation d’un compte de courriel personnel en tant que secrétaire d’État et les éventuels conflits d’intérêts entre la Fondation Clinton et son rôle de chef de la diplomatie américaine.

CANDIDATE TÉFLON ?

La moyenne des sondages nationaux donne par ailleurs à Hillary Clinton une avance non négligeable sur tous les prétendants républicains.

La démocrate serait-elle devenue une candidate téflon ? A-t-elle intérêt à se plier aux demandes des médias ? La réponse du chroniqueur du Washington Post Paul Waldman a sans doute déplu à plusieurs journalistes politiques.

« Contrairement à la dernière révolution médiatique, celle d’aujourd’hui pourrait jouer en faveur d’Hillary Clinton », a-t-il écrit la semaine dernière. « Elle semble comprendre qu’un article râleur dans le New York Times ne lui nuira pas, d’autant plus qu’elle est déjà tellement connue et qu’il y a tellement d’autres sources d’information rivalisant pour l’attention des électeurs. »

« Elle [Hillary] peut joindre ceux-ci par le truchement des nouvelles locales, de YouTube, de Twitter, de Facebook, et d’une centaine d’autres façons [que les médias traditionnels]. Et, sans un adversaire démocrate sérieux, elle peut prendre son temps. »

— Paul Waldman, chroniqueur du Washington Post

Cela étant, Hillary Clinton a mis fin à son « silence » mercredi dernier en répondant à un total de cinq questions de journalistes après une rencontre avec des « Américains ordinaires » de Cedar Falls, en Iowa.

Le lendemain, sur Twitter, le journaliste du New York Times Jason Horowitz a publié un lien vers son article sur la stratégie médiatique de la démocrate avec un commentateur râleur : « La reine Hillary et les Américains ordinaires de la Table ronde ont distribué des aumônes à la presse quémandeuse. »

De quoi rendre Pauline Marois jalouse.

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