Que sont-ils devenus ?

Sourire pour affronter la mort

Sur le terrain, les journalistes ont l’occasion de rencontrer des gens de tous les horizons. Chaque jour jusqu’au 30 décembre, ils vous donnent des nouvelles d’une personne dont l’histoire les a particulièrement touchés.

Depuis six ans, Jonas Léger côtoie la mort au quotidien.

Mais n’allez pas croire que le jeune homme de 27 ans est malheureux.

Au contraire, rien, absolument rien dans la vie ne réussit à lui faire perdre son large sourire. Il travaille comme préposé aux bénéficiaires dans une maison de soins palliatifs pour enfants. Et il n’échangerait son boulot avec personne.

La Presse l’a interviewé pour la première fois à l’hiver 2009 dans le cadre d’un grand reportage sur les obstacles auxquels font face les jeunes de Montréal-Nord dans la foulée de la mort de Fredy Villanueva – un jeune homme de 18 ans tué par la police lors d’une intervention qui a mal tourné dans un parc de ce quartier de la métropole – et l’émeute qui a suivi.

À l’époque, l’élève de 18 ans terminait sa cinquième secondaire à l’école Calixa-Lavallée.

Né ici, Jonas est parti de Montréal à 4 ans avec ses quatre frères et ses parents. Destination : le Venezuela.

Sans statut après que leur visa est arrivé à échéance, les parents de Jonas n’ont pas eu le choix à l’époque de quitter le Canada.

À 16 ans, Jonas est revenu à Montréal. Sans ses parents. Ils l’ont mis dans un avion avec son petit frère de 15 ans et lui ont donné une mission : « réussir sa vie ».

Jonas a dû veiller seul sur son frère cadet dans une ville où il ne connaissait à peu près personne.

À l’époque de notre première rencontre, il dégageait déjà une sorte de force tranquille ; une forme de sagesse exceptionnelle pour un jeune de 18 ans. Il gérait un budget très serré de 600 $ par mois. Il faisait souvent passer les besoins de son frère cadet avant les siens.

Quand son père – réparateur d’électroménagers – le pouvait, il leur envoyait un peu d’argent. En 2009, Jonas nous confiait rêver de devenir infirmier.

Neuf ans plus tard, La Presse l’a retrouvé à la Maison André-Gratton de l’organisme Le Phare Enfants et familles, à Montréal – l’unique maison de soins palliatifs pour enfants au Québec.

Alors qu’il étudiait en soins infirmiers au cégep, Jonas se cherchait un emploi à temps partiel. Un ami lui a parlé du Phare. Il y a décroché un poste de préposé aux bénéficiaires.

Même s’il est aujourd’hui diplômé, il préfère continuer à y travailler comme préposé plutôt qu’à titre d’infirmier. Ainsi, il peut passer des heures à jouer avec ses petits patients dans la salle de jeux de l’établissement.

Parfois, le jeune préposé arrive au travail déguisé en superhéros. « Certains enfants sont tellement malades que ce n’est pas évident de créer un lien, de communiquer avec eux, mais c’est faisable, raconte-t-il, visiblement passionné par son boulot. Quand je réussis à les faire sourire, c’est une victoire. »

« Ah, la vie, la vie »

Jonas se fait souvent demander comment il parvient à côtoyer la mort de si près. « Je sens que je suis capable de gérer la souffrance. Je trouve la force nécessaire en dedans de moi pour faire face à la mort. Il faut apprendre à l’affronter, car la mort fait partie de la vie », lance le jeune homme à la bonne humeur contagieuse.

Au fil des ans, de nombreux enfants l’ont marqué. Il se rappelle ce petit garçon de 7 ans toujours souriant. La veille de sa mort, l’enfant a lâché un grand soupir avant de lancer : « Ah, la vie, la vie », comme s’il avait vécu jusqu’à 100 ans et qu’il en avait savouré chaque instant.

« Ici, j’ai appris à apprécier la vie, car elle est éphémère. Très éphémère. L’idée, c’est de s’amuser jusqu’au bout. »

— Jonas Léger, qui paraphrase la devise du Phare

Jonas vit toujours sous le même toit que son « petit » frère, qui a désormais 26 ans. Leur frère cadet de 24 ans est venu les rejoindre à Montréal. Le trio a quitté Montréal-Nord pour s’établir dans Rosemont.

« C’est toujours un combat pour que toute la famille soit réunie », décrit celui qui rêve que ses parents et ses deux frères aînés – ils sont cinq garçons au total – immigrent au Canada. La vie est dure pour eux au Venezuela, résume-t-il. Depuis 2013, ce pays d’Amérique latine est secoué par une grave crise sociale, économique et politique.

Dès qu’il le peut, Jonas leur envoie des denrées non périssables et de l’argent.

Le personnel du Phare est sa seconde famille. « En anglais, on dit : there is a beauty in misfortune. Quand tu passes des moments difficiles, tu développes une certaine maturité et ça t’amène à devenir plus fort, lance-t-il. Les gens du Phare ont vu cette force en moi et m’ont fait confiance. »

Jonas songe à poursuivre des études en soins infirmiers ou en médecine à l’université. « Plus je vais approfondir mes connaissances, plus je serai en mesure de les partager et d’aider », dit-il. Il aimerait aussi voyager et fonder une famille.

Qui sait où on le retrouvera dans 10 ans ?

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