Chronique

Bill Morneau et Mélanie Netflix

Quand même ironique que le gouvernement Trudeau adopte une politique de taxation aussi déloyale envers les diffuseurs numériques canadiens au moment même où il se fait le porte-étendard de l’équité fiscale avec sa réforme Morneau.

Car il faut bien le dire, la décision d’exempter Netflix du prélèvement de la TPS et de la redevance au Fonds des médias n’a pas été prise par Mélanie Joly, mais par Justin Trudeau.

Sous prétexte de ne pas pénaliser la classe moyenne, Justin Trudeau refuse obstinément d’exiger que Netflix prélève la centaine de millions de dollars de TPS et autres taxes de vente (provinciales) qui sont dues chaque année. À cette somme s’ajoute une quarantaine de millions pour le Fonds des médias, auquel contribuent les entreprises de télécommunications.

Cette décision a été annoncée en pleine campagne électorale, en septembre 2015, en réponse aux prétentions d’une vidéo YouTube de Stephen Harper selon lesquelles Trudeau voulait taxer les séries Netflix des Canadiens. Trudeau avait nié. Et il répète depuis qu’il n’exigera pas que Netflix paie des taxes.

Entre autres, il l’a dit clairement aux journalistes en juin dernier, au lendemain du dépôt d’un rapport sur le sujet. La question lui avait été posée en marge de la conférence de presse confirmant le financement fédéral du train de la Caisse de dépôt et placement, qui se tenait à la Gare centrale.

Mélanie Joly a très mal défendu ce dossier, s’enfargeant dans ses contradictions, ce qui est étonnant pour une soi-disant experte en communications. Il reste que la commande que lui avait donnée Trudeau était claire : pas question de taxer Netflix.

Il est pourtant évident que le diffuseur mondial de téléséries et de films, auquel 47 % des Canadiens disent être abonnées (28 % des francophones), bénéficie d’un avantage fiscal indu sur les Bell et autres Vidéotron de ce monde.

Le pire, c’est que ce refus d’imposer Netflix se répercute sur les autres plates-formes numériques étrangères qui vendent des produits aux Canadiens.

Pourquoi prélèveraient-elles la taxe sur les logiciels et sur la musique vendue aux consommateurs du Canada, par exemple, si Ottawa refuse de l’exiger de Netflix ?

La fiscaliste Marwah Rizqy, de l’Université de Sherbrooke, est pourtant catégorique : les règles fiscales permettent aux autorités canadiennes de prélever une telle taxe, même si Netflix n’a pas d’établissement physique au pays. Mme Rizqy connaît le tabac : elle a fait son doctorat en fiscalité numérique.

Selon elle, le Canada aurait seulement à recourir à la Convention concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signée par la plupart des grands pays, dont le Canada et les États-Unis.

Cette convention, entrée en vigueur en juin 2011, permet l’Agence du revenu du Canada (ARC) de demander à son vis-à-vis américain (IRS) qu’il exécute sa réclamation fiscale et prélève les taxes auprès de Netflix, dit-elle.

Pendant ce temps, le ministre des Finances, Bill Morneau, affirme sur tous les tons que sa réforme fiscale est essentielle à une plus grande équité entre les salariés, d’une part, et les entrepreneurs et les professionnels, d’autre part. Vive la politique…

Bill Morneau et Jean Coutu

Ce qui m’amène à vous parler de l’ombre de Bill Morneau qui plane sur l’autre sujet de l’heure en affaires : la transaction entre Metro et Jean Coutu.

En mars, devant la rumeur persistance voulant que Morneau majore le taux d’imposition sur le gain en capital, plusieurs organisations ont structuré leurs affaires pour s’en prémunir. Ce fut visiblement le cas de Metro, qui a vendu ses actions d’Alimentation Couche-Tard à une coquille lui appartenant.

La transaction de 2,0 milliards, tout à fait légale, aurait pu lui faire économiser 135 millions de dollars en impôts. À l’époque, les fiscalistes me disaient qu’en général, les organisations faisant des transactions de ce genre n’avaient pas seulement des motifs fiscaux, qu’il existait aussi des fins commerciales réelles.

Or voilà, on apprend maintenant que Metro acquiert le Groupe Jean Coutu pour la somme de 4,5 milliards. Hier, Metro a indiqué qu’elle financerait l’acquisition par endettement, précisant tout de même qu’elle pouvait écouler éventuellement ses actions de Couche-Tard en tout ou en partie pour alléger son endettement.

M’est avis, donc, que les approches entre les directions de Metro et de Jean Coutu remontent au début de l’année. Cette hypothèse repose aussi sur les critiques répétées de l’entrepreneur Jean Coutu, à partir de janvier, à l’endroit de la réforme Barrette sur les honoraires des pharmaciens.

Découragée par la réforme, la famille Coutu ne rejetait pas l’idée de céder l’entreprise. « Est-ce que vous envisagez de vendre ? », avait demandé Paul Larocque, de TVA. « Disons que la famille se pose des questions », avait répondu en janvier le PDG François Jean Coutu, fils de Jean Coutu.

Morneau a finalement laissé tomber la hausse du gain en capital pour proposer plutôt la réforme qui est en cours. Et Metro n’a donc pas économisé d’impôt.

Maintenant, une question : à long terme, est-il préférable que Metro mise tout sur Couche-Tard ou sur Jean Coutu ? Dit autrement, Metro a-t-elle intérêt à vendre toutes ses actions de Couche-Tard, dont l’expansion est mondiale, et à se concentrer seulement sur le Québec ?

Pour ma part, je couperais la poire en deux en conservant la moitié des actions de Couche-Tard et en utilisant l’autre moitié pour alléger l’endettement causé par Jean Coutu.

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