OPINION

MALADIE MENTALE
Les psychiatres, entre pouvoir et vouloir

Faut-il attendre l’irréparable ou que la personne en détresse pose des gestes malheureux pour intervenir ?

L’été dernier, nous avons enregistré plus d’appels de personnes en crise que de coutume. Beaucoup de familles avec un proche atteint de maladie mentale qui souffre, par exemple, de psychose, et qui refuse de se faire soigner, crient au secours.

Sont également en hausse les appels de personnes ayant plus de 55 ans et souffrant de dépression, d’angoisse et d’anxiété. Souvent, elles se sentent isolées en raison de leur précarité financière.

Notre organisme, le Centre de soutien en santé mentale – Montérégie, qui existe depuis 17 ans, a pour mission principale de soutenir les familles ainsi que les personnes atteintes de maladie mentale. Nous leur offrons entre autres de l’écoute, de l’accompagnement et des activités de réinsertion sociale. Les familles éprouvent parfois de la difficulté à aider leur proche malade, alors, en tant qu’organisme, nous devons les accompagner au palais de justice pour obtenir une ordonnance d’évaluation psychiatrique.

Trouble de LA personnalité limite

Plusieurs psychiatres refusent une certaine catégorie de trouble mental : les personnes souffrant de trouble de la personnalité limite (TPL-borderline). Malheureusement, on constate un jeu de l’autruche de la part des psychiatres qui ne veulent pas prendre en charge ces personnes souffrantes, surtout si elles refusent les traitements.

Cette faille dans notre système de santé joue avec la notion de dangerosité, et les psychiatres s’en servent pour ne pas assumer pleinement leur responsabilité face aux droits de la personne.

Pourtant, dans un article de La Presse publié en août dernier, un psychiatre souligne cette dangerosité en insistant sur le pouvoir et le droit de tout psychiatre de garder une personne contre son gré. Cependant, plusieurs psychiatres n’osent pas le faire et souvent refusent d’hospitaliser la personne souffrante en la renvoyant dans la rue tout en sachant fort bien qu’elle peut devenir rapidement sans-abri. Selon le Dr Chamberland, il faudrait davantage tenir compte de la dangerosité de la personne lorsqu’elle arrive aux urgences, surtout si elle souffre d’une psychose et qu’elle n’est nullement apte à comprendre son état actuel.

Mais dans quel monde vivons-nous ? Les psychiatres ont beaucoup de pouvoir, l’oublie-t-on ? Pour les personnes vivant avec un TPL, on dit souvent qu’elles sont difficiles à soigner, car il n’y a aucune collaboration de leur part. Plusieurs parmi elles consomment régulièrement de la drogue et vivent dans la rue. De même, on met à l’écart les personnes souffrant de trouble concomitant, surtout si elles ne veulent pas être soignées.

Ce refus de soigner ce groupe de personnes fait en sorte que les familles ressentent elles-mêmes du rejet, de l’abandon – tout particulièrement les mères, qui ne savent plus comment venir en aide à leur proche. Ces personnes en détresse souhaitent souvent en finir et pensent même à se suicider. Ces familles sont épuisées et ne savent plus vraiment à qui s’adresser pour obtenir de l’aide et pour mieux encadrer leur proche souffrant de TPL.

Il y a deux semaines, j’ai reçu un appel d’une mère en détresse qui a essayé par une ordonnance de traitement de faire hospitaliser sa fille, mais la psychiatre a refusé de la garder à l’hôpital étant donné que la jeune femme de 24 ans refusait toute aide. Sa mère m’a confié qu’elle a fait une tentative de suicide et, encore une fois, elle s’est retrouvée dans la rue.

Nous constatons malheureusement une sorte de déshumanisation des services offerts en psychiatrie – surtout si la personne souffrante refuse les traitements.

Le grave problème qu’on vit présentement est que la notion de dangerosité est devenue banale pour les psychiatres et même pour les juges qui s’en servent pour refuser une ordonnance d’évaluation psychiatrique.

En tant qu’organisme, nous observons que plusieurs familles subissent le même sort que cette dame dont la fille est constamment en danger. De plus, avec la légalisation du cannabis, nous, les organismes, devrons défendre les droits des familles en détresse qui, souvent, sont laissées pour compte.

Les psychiatres ont le pouvoir de faire soigner la personne contre son gré. Il suffit d’un peu de volonté de leur part. Faut-il attendre l’irréparable ou que la personne en détresse pose des gestes parfois malheureux pour intervenir ?

Nous demandons à la ministre de la Santé de bien vouloir agir dans ce dossier avant qu’il y ait d’autres victimes.

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