SOCIÉTÉ

La théorie de la Terre plate séduit encore

Surprise, les adeptes de la théorie de la Terre plate sont de plus en plus nombreux. Le phénomène a même intéressé l’un des youtubeurs les plus connus du monde, Logan Paul, qui en a fait le sujet d’un documentaire. Depuis peu, Netflix en propose aussi un. Survol de ce mouvement en expansion.

Logan Paul est un youtubeur controversé de 23 ans, qui a notamment fait beaucoup parler de lui lorsqu’il a filmé le cadavre d’un suicidé dans une forêt au Japon. Il est suivi par plus de 18 millions de personnes sur YouTube, surtout des adolescents.

Hier soir, il a diffusé sur sa chaîne YouTube le documentaire The Flat Earth : To The Edge and Back, où il s’intéresse aux flat earthers (adeptes de la théorie de la Terre plate). D’abord, puisque bien des scènes sont scénarisées, nous ne pouvons pas parler d’un véritable documentaire. Nous sommes plutôt devant un « documenteur » ou un « mockumentaire ».

Au début du film, Mike Majilak apprend à son grand ami Logan Paul qu’il est un adepte de la théorie de la Terre plate. Ce dernier décide donc d’en apprendre plus sur ce mouvement et il se rend à un (vrai) congrès international sur le sujet.

Même si le tout est fait avec ironie et humour, la deuxième moitié du film est plus intéressante, puisque le youtubeur rencontre de véritables adeptes de la théorie de la Terre plate, dont l’organisateur de ce congrès, Robbie Davidson, qui est une personnalité très connue de ce mouvement. Et au bout du compte, même si Logan Paul se moque de ceux qui croient que la Terre est plate, des millions de jeunes en apprendront plus sur cette théorie, puisqu’ils visionneront le faux documentaire de leur idole dans les prochains jours.

Sur le même sujet, mais beaucoup plus sérieusement, Netflix propose le documentaire Behind the Curve de Daniel J. Clark. Dans ce cas-ci, il s’agit d’un véritable documentaire, où le réalisateur ne se met pas en scène et pose un regard neutre sur le phénomène. Il présente tant des flat earthers que des scientifiques surpris et dépassés par l’ampleur de ce mouvement.

Il est vrai que les adeptes de la Terre plate sont de plus en plus nombreux. Ils forment des communautés sur le web, ils vendent beaucoup de produits dérivés, ils ont même des sites de rencontres, des campings et ils organisent régulièrement des congrès.

Bref, ils sont fiers d’être des flat earthers.

L’un des protagonistes principaux de Behind the Curve est Mark Sargent, adepte des théories du complot. Lorsqu’il est tombé – un peu par hasard – sur celle de la Terre plate, il a décidé d’en faire son cheval de bataille.

Il est devenu l’une des personnalités les plus connues de ce mouvement. « Je n’ai pas choisi la théorie de la Terre plate. C’est elle qui m’a choisi », dit l’Américain, qui donne des conférences sur le sujet un peu partout dans le monde.

« La science a de la difficulté à combattre ce que nous faisons. »

— Mark Sargent, adepte de la théorie de la Terre plate

Un autre protagoniste, Nathan Thompson, explique pourquoi il croit à la théorie d’un complot dans ce cas-ci et ce qui pousse les scientifiques à mentir à la population : « J’ai compris pourquoi ils nous cachent la vérité. C’est parce qu’ils veulent que personne ne sache rien. Ils veulent que les gens soient idiots, aveugles, sourds à la vérité. Pour qu’ils puissent nous injecter leurs vaccins et leurs écoles publiques. »

Des scientifiques… résignés

David Sénéchal, professeur au département de physique à l’Université de Sherbrooke, nous rappelle que même dans la Grèce antique, des scientifiques savaient que la Terre était sphérique.

Ses collègues et lui pourraient présenter bien des preuves aux flat earthers pour prouver ce fait : « Mais c’est assez difficile de les convaincre du contraire, s’ils n’ont pas un esprit ouvert et rationnel », dit-il.

Il donne l’exemple des photos de la Terre prises de l’espace : « Si nous leur en présentons, ils disent que nous n’avons jamais été dans l’espace et qu’il s’agit d’une conspiration. »

Dans Behind the Curve, Mark Sargent explique d’ailleurs que les scientifiques ne peuvent affirmer que la Terre est plate, puisqu’ils perdraient leur emploi. À ce propos, l’astrophysicienne Nathalie Ouellette réplique : 

« Je pense que lorsque nous arrivons au point d’être professeurs en physique ou aéronautique, on a eu suffisamment de preuves dans notre éducation que la Terre était ronde », dit la scientifique de l’Université de Montréal.

« C’est assez fréquent d’avoir des désaccords sur des théories entre collègues, mais il n’y a pas d’argument du côté de la Terre plate. Donc ce n’est pas une discussion. »

— Nathalie Ouellette, astrophysicienne

D’après elle, la théorie de la Terre plate est « beaucoup plus forte en Amérique du Nord » qu’ailleurs dans le monde.

Même si en surface, cette théorie fait sourire et semble loufoque, l’astrophysicienne s’en inquiète : « Nous ressentons dans la société un mouvement antiscience généralisé. Qu’une personne croie que la Terre est plate, ce n’est pas très grave. Mais si c’est un sentiment antiscience généralisé, elle ne voudra peut-être plus aller chez le médecin, vacciner ses enfants, croire aux changements climatiques, etc. »

La faute aux médias sociaux ?

Elisabeth Abergel, professeure de sociologie à l’Université du Québec à Montréal, est persuadée que les médias sociaux jouent un rôle important dans la propagation de ces mouvements.

En revanche, elle ne croit pas qu’il s’agit d’un retour à l’obscurantisme. « À la base, je dirais que c’est une perte totale de confiance dans l’autorité scientifique et politique. Une réaction pour signifier que la science et les institutions sociales qui les soutiennent n’ont pas toutes les réponses ni tous les pouvoirs sur les gens. »

We are not crazy (« Nous ne sommes pas fous »), clament des adeptes de la théorie de la Terre plate, dans la bande-annonce du documentaire de Logan Paul.

Elisabeth Abergel est d’accord : « Ceux qui véhiculent ces discours ne sont pas tous des imbéciles, ils sont capables de bien construire des arguments et semblent avoir des connaissances soit des sciences, de l’histoire, de la politique […] Ce sont des gens habiles d’habitude », a-t-elle répondu par courriel.

Alain Jeanson-Lefèbvre a écrit un mémoire de maîtrise en sociologie sur « le discours du complot ». Il avance que la théorie de la Terre plate fera sûrement son temps comme la majorité des théories du complot : « Ce ne serait pas étonnant que nous en entendions plus parler dans la prochaine année. Ce sera alors remplacé par autre chose, comme celle sur les vaccins. »

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