ENTREVUE JEAN BOIVIN, EX-SOUS-GOUVERNEUR DE LA BANQUE DU CANADA

Où s’en va l’économie mondiale ?

Plusieurs sont d’avis que l’économie américaine redevient la locomotive de l’économie mondiale. D’autres jugent que ce sont encore les économies émergentes, dans la mesure où elles mèneront avec succès quelques réformes structurelles.

Le tableau est beaucoup plus complexe, selon Jean Boivin, directeur général et chef adjoint des stratégies de placement du BlackRock Investment Institute, le centre de recherche de la firme dont l’actif sous gestion atteint 4000 milliards de dollars américains. La Presse a rencontré cet ex-sous-gouverneur de la Banque du Canada et sous-ministre adjoint des Finances du Canada, aujourd’hui installé à Londres, lors de sa venue à Montréal, la semaine dernière.

Comment caractériseriez-vous la situation mondiale actuelle ?

Ce qui me frappe, c’est la vaste étendue des opinions sur l’économie mondiale. Ça va depuis la thèse de la stagnation séculaire de l’économiste américain Lawrence Summers jusqu’à la prévision d’une nouvelle révolution technologique mue par l’intelligence artificielle. En gros, ça veut dire que personne ne sait. Le prix des actifs financiers n’est pas non plus un bon augure. Tout ça nourrit la volatilité sur les marchés financiers et des réactions excessives. Dans ce contexte, la communication des banques centrales devient de plus en plus difficile.

Comment alors mener une politique monétaire adéquate ?

Lorsque les banques centrales ont bien fait leur travail, la politique monétaire devient un sujet ennuyeux… C’est ce qu’on enseigne dans les écoles d’économie. Lorsqu’on en arrivera là, ce sera très positif, mais on n’est pas encore rendu. En 2015, on a commencé à observer une divergence entre les banques désireuses d’amorcer un resserrement monétaire comme la Réserve fédérale ou la Banque d’Angleterre, et les autres. L’anticipation est déjà manifeste. On n’a qu’à regarder l’appréciation du dollar américain face aux autres monnaies. Même si la Fed n’a pas amorcé son resserrement, le processus est enclenché. Il lui faut réduire un tant soit peu le stimulus massif. Ça ne signifie pas d’y mettre les freins, mais plutôt de retirer le pied de l’accélérateur.

Plusieurs craignent que la normalisation de la politique monétaire américaine n’entraîne un exode des capitaux placés dans les économies émergentes vers les États-Unis…

La Fed devra procéder avec prudence pour éviter la colère des marchés comme ç’a été le cas en juin 2013 quand elle avait signalé que le rythme d’assouplissement quantitatif alors en cours pourrait ralentir à compter de l’automne (NDLR : l’épisode avait été qualifié de taper tantrum). Le processus sera lent. J’ai de la misère à croire que le monde ne puisse absorber 25 centièmes de hausse et d’autres augmentations par la suite.

Que doit surveiller la Fed ?

D’abord la Chine, qui est au milieu d’une transition difficile d’une économie axée sur les exportations et les investissements dans des infrastructures vers une autre où la consommation des ménages joue un rôle de premier plan. Elle doit aussi surveiller comment la transmission de la politique monétaire sera transmise dans la dette corporative des économies émergentes qui est libellée en dollars américains dans une proportion d’environ 65 %. En même temps, les hésitations de la Fed créent plus de dommage pour les économies émergentes que des hausses de taux. Voilà pourquoi la Banque de réserve de l’Inde a choisi d’abaisser de 50 centièmes son taux directeur (à 6,75 %) la semaine dernière, alors qu’on s’attendait plutôt à 25 centièmes seulement.

La Chine souhaite que sa monnaie, le yuan, fasse partie du panier de devises des Droits de tirage spéciaux (DTS) du Fonds monétaire international. Qu’est-ce que ça peut changer ?

C’est aussi une volonté du FMI d’intégrer la Chine aux DTS. La réforme souhaitée du FMI pour laisser la Chine y jouer un plus grand rôle est bloquée par le Congrès américain. Quand la Chine a annoncé au mois d’août qu’elle laissait flotter davantage le yuan, les marchés ont été pris par surprise, même si c’était une condition d’adhésion aux DTS. Ça n’empêchera pas les ajustements importants en cours sur les taux de change, mais ça représente un symbole important de la puissance accrue de la Chine.

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