« Je suis un peu surpris qu’il s’arrête si jeune »

Même Devon Kershaw, l’un des amis les plus proches d’Alex Harvey, ne croyait pas à la retraite imminente du fondeur de Saint-Ferréol-les-Neiges.

Seefeld, Autriche — Si quelqu’un connaît bien Alex Harvey, c’est Devon Kershaw. Ils ont couru ensemble pendant 10 ans et sont devenus les meilleurs amis du monde. L’Ontarien, qui s’est retiré l’an dernier, sera l’un des garçons d’honneur au mariage du fondeur de Saint-Ferréol en juin.

Pourtant, Kershaw a été surpris d’apprendre l’officialisation de la retraite prochaine de Harvey dans les médias, mardi, avant le début des Championnats du monde de Seefeld. Il lui a fait part de son étonnement quand ils se sont retrouvés sur les pistes pour une sortie d’entraînement.

« Voyons, Devon, on a parlé de ça au moins 100 fois depuis deux, trois ans ! », a réagi le Québécois de 30 ans.

Kershaw en convient, mais il avait cru entrevoir une ouverture quand son ami est venu le visiter chez lui à Lillehammer, à la fin du mois de novembre. En marge de la Coupe du monde présentée dans la ville olympique de 1994, ils ont passé une semaine ensemble, au bout de laquelle Harvey est monté sur la troisième marche du podium au sprint individuel.

Il était de bonne humeur, positif comme toujours, quoiqu’un peu préoccupé par l’ambiance qui régnerait dans l’équipe après le départ de presque tous les vétérans.

« Il ne m’a jamais regardé dans les yeux pour me dire : “Hey, je disputerai ma dernière course à Québec au printemps 2019” », a raconté celui qui est consultant pour Eurosport et technicien pour la Norvège à Seefeld. « Je n’ai pas voulu en savoir davantage. J’ai été un athlète, je ne voulais pas le déranger en préparation pour les Mondiaux. »

Quand Harvey a abandonné le Tour de ski pour rentrer à la maison, Kershaw était persuadé que ce ressourcement le convaincrait de prolonger sa carrière.

« J’aurais mis de l’argent là-dessus. La première chose, c’est qu’il n’est pas si âgé. Jusqu’à maintenant, c’est une année difficile pour lui, mais s’il gagne le 50 km [dimanche], ce sera une saison totalement fantastique ! En plus, c’est un gars tellement compétitif. Si tu joues au Monopoly ou aux cartes avec lui, il veut tout gagner ! Je suis donc un peu surpris qu’il s’arrête si jeune. »

En revanche, il comprend à quel point le poids des années sur la route a pu peser pour Harvey. « Il s’entraîne comme un professionnel depuis qu’il a 16 ans. Moi, à 16 ans, je jouais au hockey et je faisais autre chose. »

« Ça fait 14 ans qu’il vit dans ses bagages chaque hiver. Ce n’est pas facile. »

— Devon Kershaw

La possibilité de gagner une première médaille olympique pour le ski de fond masculin canadien, la quête inachevée de Harvey, est un autre facteur qui pouvait faire pencher la balance, croyait-il.

« Il a fini quatrième à PyeongChang, on a fini quatrièmes ensemble à Vancouver, moi cinquième [au 50 km], on est passés si proche… Je pensais peut-être qu’il voudrait repartir à la chasse à une médaille. »

« Seul au sommet »

Même sans ce podium olympique, Harvey est, sans l’ombre d’un doute, « le meilleur fondeur de l’histoire au Canada », selon Kershaw, deuxième sur la Coupe du monde en 2012. Les titres olympiques de Beckie Scott (2002) et Chandra Crawford (2006) ne font pas le poids face à un palmarès de cinq médailles aux Mondiaux, dont deux en or, et 27 podiums en Coupe du monde.

« Alex n’a aucune compétition, il est seul au sommet. Une médaille olympique, c’est beau sur le coup, mais quand tu es champion du monde de 50 km… Il y a aussi tous ces résultats parmi les six premiers aux Mondiaux. Écoute, c’est une carrière merveilleuse ! »

Si Harvey sert d’inspiration pour les jeunes fondeurs canadiens et québécois, l’avenir immédiat du sport au pays préoccupe Kershaw.

« Je n’étais pas du niveau d’Alex, mais je ne suis plus là, Beckie n’est plus là, [la médaillée olympique] Sara [Renner] n’est plus là, Chandra n’est plus là… Il y a un vide. Les jeunes sont vraiment bons, mais il y a une énorme différence entre finir 7e ou 20e aux Mondiaux juniors et réussir des podiums en Coupe du monde. Je suis inquiet, c’est sûr. »

Kershaw fonde beaucoup d’espoir en Pierre-Nicolas Lemyre, nouveau conseiller en haute performance et développement à Ski de fond Canada, qui dirige le département de coaching et psychologie à l’Université des sports d’Oslo.

« Cette personne va nous aider. Je crois en lui à 100 %. »

Johannes Hoesflot Klaebo

Grand parleur, grand skieur

Seefeld, Autriche — La relationniste de l’équipe de Norvège a dû tirer la manche de Johannes Hoesflot Klaebo trois ou quatre fois pour qu’il s’arrête de parler. La conférence de presse était terminée depuis une bonne demi-heure et le jeune prodige continuait de répondre aux questions d’une dizaine de journalistes.

Que racontait-il ? « Pas grand-chose, c’était un peu ennuyeux pour être honnête, rien pour faire la manchette », a expliqué un collègue norvégien déçu. « Ce n’est pas Petter Northug. »

Klaebo n’a peut-être pas l’aura de son illustre prédécesseur aujourd’hui à la retraite, mais il accumule les médailles d’or à un rythme aussi affolant, sinon plus.

Après sa victoire de jeudi au sprint individuel, le fondeur de 22 ans a décroché un deuxième titre aux Championnats du monde de Seefeld, hier, en remportant le sprint par équipes classique avec Emil Iversen. Les Norvégiens vengeaient ainsi leur quatrième place de Lahti, il y a deux ans.

À la manière de Northug, Klaebo a laissé Alexander Bolshunov dans la brume en produisant une accélération fulgurante dans l’ultime faux plat montant. Le triple médaillé d’or olympique a eu le temps de se retourner avant de franchir la ligne. L’Italie de Federico Pellegrino a remporté le bronze.

Et les Canadiens ?

Surprise, le Canada participait à cette finale en dépit de l’absence d’Alex Harvey. Len Valjas est même passé en tête au bout de la première longue montée. Mais le duo canadien, complété par la recrue Evan Palmer-Charrette, a ensuite reculé jusqu’à la 10e et dernière place, pour y rester.

« Rendu en haut, j’avais le choix d’arrêter et de laisser passer quelques gars ou de profiter du moment et d’y aller, a expliqué Valjas. J’ai décidé de tester la descente. J’ai bien fait dans la descente, mais évidemment, avec la traînée, je me suis fait bouffer assez vite par les autres. »

Palmer-Charrette n’a pas été en mesure de tenir le rythme à son deuxième passage. Valjas a tout tenté pour refermer l’écart, mais il avait les jambes remplies d’acide lactique au moment d’amorcer l’ascension.

« On est super fiers, Evan avait fait le skiathlon la veille et il a très bien skié [aujourd’hui], on n’a pas de regrets. »

— Len Valjas

Disant se sentir « deux fois mieux » qu’au sprint individuel de jeudi, alors qu’il se remettait encore d’une infection à la gorge, le Torontois de 30 ans éprouvait un pincement par rapport à l’absence de Harvey, qui a préféré se préserver pour le 50 km de dimanche.

« C’est dommage de ne pas avoir eu Alex, parce qu’il est un coureur très spécial. Tu peux le laisser un peu derrière et il va revenir et gagner, ce genre de chose. Mais je comprends, il a des courses très importantes à venir. Je ne le blâmerai jamais, mais c’est triste pour moi. C’est la vie. »

Ironiquement, les Canadiennes Emily Nishikawa et Dahria Beatty, plus attendues que leurs compatriotes masculins, se sont arrêtées en qualifications, enregistrant le sixième temps de leur vague (12e au total).

Les Suédoises Stina Nilsson et Maja Dahlqvist ont mis un terme à la domination de la Norvège en remportant la finale devant les Slovènes Katja Visnar et Anamrija Lampic. Ingvild Flugstad Oestberg et Maiken Caspersen Falla ont dû se contenter du bronze.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.