Taxe carbone

Est-ce ambitieux ?

Du point de vue du coût annoncé – 50 $ la tonne en 2022 –, l’annonce d’hier ne se distingue pas pour son ambition. Une étude récente de Peter Howard, économiste à la New York University, montre que les prix carbone utilisés sur la planète sont généralement plus élevés. La Grande-Bretagne prévoit un prix plancher de 65 $ en 2020. La taxe carbone du Japon atteint déjà 47 $. Les États-Unis utilisent une valeur de 64 $ pour 2020 pour le « coût social du carbone ». Et pour l’horizon 2030, plusieurs pays prévoient des taxes ou des prix planchers de plus de 140 $ la tonne. Chris Ragan croit que le Canada s’engage sur cette voie. « Si on continue les augmentations annoncées au-delà de 2022, on atteint 130 $ la tonne en 2030, dit-il. Et selon nos études, c’est environ ce qui est requis pour atteindre nos objectifs de réduction d’émissions. »

Taxe carbone

EST-CE QUE JUSTIN TRUDEAU RESPECTE SES PROMESSES ?

Le député provincial Andrew Weaver, climatologue et chef du Parti vert de Colombie-Britannique, se trouvait par hasard à Ottawa hier, et il a tenu à assister en direct à la Chambre des communes à l’annonce de M. Trudeau. « C’est la première fois qu’il y a un parti au pouvoir qui agit concrètement sur le coût des émissions de carbone, alors dans ce sens, c’est important », dit-il. L’annonce d’hier a été saluée par la plupart des grands groupes environnementalistes au pays. « Nous avons répété à plusieurs reprises que le gouvernement fédéral, tout en collaborant avec les provinces, devait faire preuve de leadership, et aujourd’hui, le premier ministre Trudeau vient de nous faire la démonstration qu’il pouvait le faire », a déclaré Steven Guilbeault, d’Équiterre.

Taxe carbone

Est-ce une nouvelle taxe ?

Pas vraiment. La plus grande part de la population canadienne est déjà soumise à une forme ou une autre de tarification du carbone – ou le sera sous peu. L’Alberta a annoncé une taxe qui atteindra 30 $ la tonne pour 2018. La Colombie-Britannique a une taxe carbone de 30 $. Le Québec a un système de plafonnement et d’échanges qui s’applique à tous les grands émetteurs, et l’Ontario a annoncé qu’il se joindrait à ce marché commun avec la Californie. Le coût par tonne de carbone est de 17 $ actuellement sur ce marché – donc déjà plus que les 10 $ annoncés aujourd’hui – , ce qui se traduit par un coût de 3 ou 4 cents par litre d’essence à la pompe.

Taxe carbone

SUR QUELLES PROVINCES L’IMPACT SERA-T-IL LE PLUS FORT ?

Il y a deux mondes au Canada. Le contraste est frappant entre l’Alberta et la Saskatchewan, dont l’économie est très intensément liée à l’émission de gaz à effet de serre (GES). Pour chaque million de dollars d’activité économique, ces provinces émettent 1200 tonnes de GES. Au Québec, par comparaison, c’est moins de 200 tonnes pour le même million. L’annonce d’hier aura donc plus d’impact sur les deux provinces de l’Ouest. « Le prix carbone induit un coût supplémentaire sur l’extraction des ressources, et c’est ce qui est recherché, dit Jean Nolet, économiste et directeur général de Coop Carbone. Ce qu’on peut espérer, c’est que toutes les juridictions prennent la même décision, alors il n’y aura plus d’impact sur la compétitivité. »

Taxe carbone

Est-ce efficace ?

À peu près tout le monde au Canada, du Conseil canadien des chefs d’entreprise à Greenpeace, s’entend sur la nécessité d’établir un coût pour la pollution par le carbone au pays. Chris Ragan, économiste à McGill et président de la Commission de l’écofiscalité du Canada, a présidé une importante étude publiée en 2014 sur le sujet, et il a applaudi l’annonce d’hier. « Nous avons une indication claire qu’il y aura un coût carbone partout au pays, dit-il. Une fois qu’on a ce coût carbone, on peut mettre en place des nouvelles politiques ou revoir celles existantes pour s’assurer qu’elles sont vraiment efficaces. »

Environnement

Ottawa imposera une taxe carbone dès 2018

OTTAWA — Le gouvernement fédéral imposera une taxe carbone de 10 $ la tonne dans les provinces qui n’auront pas adopté une forme de tarification du carbone à partir de 2018, a annoncé hier le premier ministre Justin Trudeau.

Cette taxe sera majorée de 10 $ la tonne par année par la suite pour atteindre le prix plancher de 50 $ à compter de 2022, a indiqué le premier ministre dans un discours à la Chambre des communes alors qu’il lançait le débat sur la ratification de l’Accord de Paris sur les changements climatiques.

Les provinces comme la Saskatchewan et la Nouvelle-Écosse qui n’ont aucune forme de tarification du carbone auront deux ans pour adopter leur propre plan, à défaut de quoi elles se verront imposer une taxe par Ottawa.

Des provinces comme le Québec et l’Ontario, qui ont préféré se donner une Bourse du carbone au lieu d’une taxe pour inciter les entreprises à réduire leur empreinte environnementale, ne seront pas touchées par la taxe fédérale. Toutefois, elles devront démontrer que leur plan contribue à réduire les émissions de gaz à effet de serre (GES) et s’engager à se donner des objectifs de réduction plus ambitieux au fil des années.

« Après des décennies d’inaction, après des années d’opportunités manquées, nous allons finalement prendre des mesures concrètes et réelles pour bâtir une économie propre, créer plus d’opportunités pour les Canadiens, et faire de notre monde, un monde meilleur pour nos enfants et nos petits-enfants », a déclaré le premier ministre dans son discours.

« Nous n’allons pas bouder la science et nous ne repousserons pas l’inévitable. Avec le plan mis de l’avant par le gouvernement, toutes les juridictions canadiennes auront tarifé la pollution causée par le carbone d’ici 2018. »

— Justin Trudeau, premier ministre du Canada

M. Trudeau a précisé que les revenus générés par la taxe carbone dans les provinces qui ont refusé d’imposer une tarification leur seront remis par Ottawa pour qu’elles puissent utiliser cette somme d’argent comme elles l’entendent.

« Les provinces et les territoires pourront choisir la façon dont ils mettront en œuvre ce tarif. Ils pourront appliquer directement un tarif sur la pollution causée par le carbone, ou ils pourront adopter un système de plafond d’échange d’émissions dans la perspective que celui-ci soit assez strict pour rencontrer ou dépasser le prix plancher fédéral », a-t-il indiqué.

DES PROVINCES EN COLÈRE

Cette mesure a soulevé l’ire de la Saskatchewan, de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve. Les ministres de l’Environnement de ces trois provinces ont d’ailleurs quitté la rencontre convoquée par la ministre fédérale Catherine McKenna à Montréal hier pour discuter de la lutte contre les changements climatiques.

La première ministre de l’Alberta, Rachel Notley, a fait savoir qu’elle n’appuiera pas la démarche du gouvernement Trudeau tant qu’il n’aura pas approuvé la construction d’un nouveau pipeline pour faciliter l’exportation du pétrole issu des sables bitumineux à l’étranger.

La Colombie-Britannique et l’Alberta ont déjà adopté une taxe carbone. En Colombie-Britannique, cette taxe, qui est entrée en vigueur en 2008, s’élève aujourd’hui à 30 $ la tonne. En Alberta, la taxe carbone doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017. Cette taxe s’élèvera à 20 $ par tonne et passera à 30 $ en 2018. Le gouvernement albertain prévoit aussi éliminer progressivement le recours à l’électricité générée par le charbon d’ici 2030.

Le Canada, qui a raté jusqu’ici tous ses objectifs de réduction de GES, s’est engagé à réduire de 30 % ses émissions d’ici 2030 par rapport à 2005 dans le cadre de l’Accord de Paris.

« Fixer une tarification sur la pollution causée par le carbone nous donnera un avantage important alors que nous bâtissons une économie à croissance propre. Une tarification raisonnable et prévisible sur la pollution causée par le carbone encouragera l’innovation parce que les entreprises devront trouver de nouvelles façons de réduire leurs émissions et de moins polluer. Cela rendra aussi nos entreprises plus compétitives.

« L’économie mondiale est de plus en plus propre et le Canada ne peut pas se permettre de rester à la traîne », a affirmé le premier ministre dans son discours.

UNE MESURE UNILATÉRALE, SELON LES CONSERVATEURS

Le Parti conservateur a vertement dénoncé cette mesure, accusant le premier ministre d’imposer unilatéralement une taxe qui pourrait mettre en péril une économie qui est déjà vacillante. « C’est cela, le fédéralisme de coopération du gouvernement libéral », a tonné le député conservateur Ed Fast, critique de son parti en matière d’environnement.

Le Canada s’est finalement retiré du protocole de Kyoto quand les conservateurs de Stephen Harper étaient au pouvoir.

Le Nouveau Parti démocratique s’est pour sa part demandé si l’annonce du premier ministre connaîtra le même sort que le protocole de Kyoto, signé par le gouvernement libéral de Jean Chrétien en 1997. Même s’il avait signé ce protocole, le gouvernement Chrétien n’a jamais élaboré un plan précis pour respecter ses engagements de réduction des émissions de GES.

Le premier ministre Justin Trudeau compte rencontrer ses homologues provinciaux les 8 et 9 décembre afin de mettre la touche finale au plan canadien de lutte contre les changements climatiques.

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