Opinion : Société des alcools du Québec 

Privatiser serait une erreur

Faut-il privatiser la Société des alcools du Québec (SAQ) ? Chroniqueur vin de La Presse pendant plus de 33 ans (1982-2016), j’ai vu évoluer de près cette société d’État.

Pour le dire en quelques mots : qu’il s’agisse de l’offre, du niveau des connaissances sur le vin et les spiritueux de son personnel, autrement dit de la qualité du service offert, la SAQ s’est transformée du tout au tout au cours de ces trois décennies. Et pour le mieux.

Début des années 80, seules deux régions viticoles, le Bordelais et la Bourgogne, étaient à peu près convenablement représentées.

Au contraire, et ce n’est qu’un exemple, la SAQ ne commercialisait en 1983 qu’une dizaine de vins de Californie (selon un répertoire de cette année-là), contre plus de… 600 à l’heure actuelle.

Toujours la même année (1983), la société d’État n’avait à son répertoire qu’un seul vin d’Argentine, deux d’Australie, trois du Chili et pas un seul de Nouvelle-Zélande !

Très peu de ses employés connaissaient le vin à cette époque, et donc rares étaient les clients qui consultaient le personnel des succursales afin d’être guidés dans leurs achats.

Cela aussi a considérablement changé puisqu’on trouve à l’heure actuelle, dans presque toutes les 400 succursales, au moins un employé – quand ce n’est pas deux ou trois – qui connaît le vin et est apte à conseiller la clientèle.

Ainsi, toutes les plus importantes succursales (les Sélection) ont à leur service au moins un conseiller en vin, formé par la SAQ, ces conseillers, mieux payés que les autres employés, étant présentement plus de 150.

On l’a dit et redit : l’existence de la SAQ fait aussi que les prix sont les mêmes partout au Québec.

Bref, et comme le montre l’attitude de la clientèle qui n’hésite plus à consulter son personnel, tous ces services rendus par la société d’État sont grandement appréciés.

On peut ajouter que la SAQ continue à évoluer.

Exemple éloquent, l’arrivée sur le marché, depuis quelques années, de champagnes à moins de 40 $ la bouteille, et puis l’introduction de quelques centaines de champagnes de petits producteurs… tout cela faisant que les ventes de champagnes ne cessent d’augmenter à cause de l’intérêt pour ces vins que ces mesures ont suscité. (Précédemment, la SAQ ne tenait que quelques dizaines de champagnes, tous de grandes entreprises telles que Moët & Chandon, Mumm, etc.)

Enfin, bien sûr, il y a les sommes énormes que rapporte à l’État le commerce des vins et des alcools – les bénéfices plus les taxes, soit plus de 2 milliards par an.

Bref, la SAQ se porte bien, malgré les tiraillements épisodiques lors des périodes de négociations en vue du renouvellement de la convention collective.

« Qu’est-ce que fait l’État dans le commerce des vins et des alcools ? » demandent certains, dont François Legault, qui évoquent la possibilité de privatiser la SAQ.

Inventer un problème

Faut-il donc privatiser au nom d’une certaine idéologie ultra-libérale ? Au nom d’un principe ?

D’abord, la SAQ n’est pas un cas unique. Le New Hampshire, la Suède – et il existe certainement d’autres États où la situation est la même –, mais également les autres provinces canadiennes, à l’exception de l’Alberta, confient eux aussi à une société d’État le commerce des vins et des alcools.

Et puis, la SAQ n’est pas un problème… c’est même tout le contraire.

Le vrai problème serait de la privatiser, ce qui entraînerait vraisemblablement le licenciement de plusieurs centaines de personnes, sans parler de l’insatisfaction de la clientèle – les électeurs ! – qui en résulterait.

L’Alberta a privatisé. Aujourd’hui, l’offre y est intéressante seulement dans les grandes villes, et les prix varient considérablement d’un magasin à l’autre.

En cas de privatisation, enfin, il faudrait sans doute craindre… que le crime organisé et, notamment les Hells Angels, se tournent, grâce à des hommes de paille, vers le commerce des vins et des spiritueux. Ne font-ils pas déjà d’énormes efforts pour recycler l’argent sale dans l’économie légale ?

Bref, c’est le pragmatisme qui doit prévaloir et non l’idéologie ou un quelconque principe.

On peut ajouter que les vrais problèmes auxquels s’attaquer, ce sont ceux, manifestement, que les politiques du gouvernement actuel ont entraînés : l’affaiblissement de ce que la société québécoise a de plus précieux, à savoir son système d’éducation et son réseau de soins de santé.

Là sont les problèmes… privatiser la SAQ, en partie ou en totalité, serait, de toute évidence, un faux-fuyant et donc une façon d’éviter de faire face à ces problèmes criants.

« Fichez la paix à la SAQ ! », réclamait il n’y a pas si longtemps, au sujet des rumeurs de privatisation, dans une lettre ouverte aux journaux, Gaétan Frigon, qui fut un de ses bons présidents.

Les Américains ont pour leur part un dicton voulant qu’on s’abstienne de modifier une situation ou un organisme en bon état. « If it ain’t broken, don’t fix it ! », disent-ils.

Or, la SAQ est en très bon état.

Pour l’exercice 2017-2018, la SAQ a versé aux deux gouvernements (bénéfice et taxes) plus de 2,1 milliards de dollars, soit près de 1,8 milliard à Québec et 424 millions à Ottawa.

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