Opinion

Santé mentale ou maladies du cerveau ?

Le traitement de maladies psychiatriques majeures stagne depuis des décennies, ayons le courage de les nommer.

Il est de certains événements qu’ils changent soudainement le cours des choses. En cela, plusieurs points de rupture ont dans le passé été provoqués par des gestes philanthropiques marquants qui ciblent une haute cause. Bien entendu, afin de provoquer un virage dans la trajectoire sociétale, le philanthrope a le devoir de se nommer, de nommer la cause et la transformation visée.

En ce sens, nous venons d’être témoins d’une première au Québec. Pour la première fois, à ma connaissance, une famille influente affectée par la schizophrénie et la maladie bipolaire fait un don « non anonyme » de 1 million de dollars pour la recherche et l’innovation thérapeutique sur ces maladies. La famille Verreault a fait connaître sa décision dans les médias.

L’événement engagé et authentique choisit des mots tout à fait inhabituels dans le domaine dit de « la santé mentale ».

Ce grand-père parle de maladie du cerveau, de prévention, d’un petit-fils impliqué dans la recherche scientifique, et surtout de découvertes scientifiques qui donnent espoir. Ce contexte neuf fait défaut tant au niveau national qu’international. Ce ne serait pas la première fois, dans les 50 dernières années, que le Québec se révèle en annonçant un nouveau courant international, comme j’en parlais dans deux précédents papiers publiés dans ce quotidien en 2015 et 2017.

Car ne nous y trompons pas. L’effet engluant du concept de « santé mentale », flou et fourre-tout, ne favorise ni des politiques financières ciblées et mesurables ni l’identification de moyens envers une cause bien pointée. J’ai déjà écrit que ce vocable mal défini a pour effet d’entretenir l’ignorance, la courte vue, l’idéologie du moment, des opinions flottantes de la part d’individus, experts ou non.

Utiliserions-nous le terme de « santé cellulaire » à la place de cancer du sein ou de cancer du poumon qui sont chacun des entités avec des déterminants causaux et thérapeutiques, communs et spécifiques, si nous n’avions pas connu le progrès des dernières décennies pour ces maladies ?

Une stagnation gênante

Je prétends que le concept de « santé mentale », utilisé internationalement depuis les années 60 sous prétexte de « déstigmatiser » la maladie, a empêché de prioriser et a favorisé la stagnation ainsi que l’atonie dans la recherche et le traitement des maladies psychiatriques majeures comme la schizophrénie, la maladie bipolaire et la dépression majeure récidivante. 

Écarter le nom des maladies a conduit à la gênante constatation que le traitement de ces maladies du cerveau a peu évolué depuis 40 ans, toujours en absence de traitement curatif ; de plus, leur diagnostic repose encore uniquement sur la symptomatologie clinique comme cela se pratiquait pour toutes les autres spécialités médicales il y a un siècle. Un test biologique d’aide au diagnostic par le clinicien n’existe toujours pas.

La recherche scientifique montre que ces maladies émergent d’un cerveau biologiquement vulnérable en jeune âge qui est exposé à des facteurs environnementaux dont les chercheurs sont à découvrir la nature exacte et le moment de leur impact durant l’enfance et l’adolescence.

Et pourtant, ce criant paradoxe sociomédical du XXIe siècle nous met au visage un drame humain et financier soutenu par des chiffres incontestés et effarants. Ces trois maladies à elles seules touchent 4 % de la population, soit 30 000 patients adultes dans la région de la Capitale-Nationale, 250 000 au Québec, 1 million au Canada, 40 millions dans les nations du G7. Cela fait donc compter au Québec 100 000 enfants-adolescents nés d’un parent affecté par la maladie ; 450 000 au Canada ; 10 millions dans les nations du G7. Ces enfants à risque génétique élevé sont de 15 à 20 fois plus à risque de développer à l’âge adulte la maladie de leur parent, et 50 % d’entre eux présenteront en enfance un problème de développement, d’apprentissage ou de comportement méritant une consultation.

Nos travaux montrent, ici comme ailleurs, que 70 % des jeunes reçus aux urgences avec un premier diagnostic de psychose, d’épisode maniaque ou de dépression majeure en sont à leur premier contact avec le système de santé.

Et ces jeunes reviendront à l’urgence en moyenne sept fois dans l’année suivant ce premier diagnostic. En résultante, 9 % des coûts de santé globaux sont attribuables à ces trois maladies psychiatriques majeures, ce chiffre s’expliquant par leur plus longue chronicité en raison d’un début de maladie très jeune en comparaison aux maladies métaboliques-cardiovasculaires, cancer ou alzheimer.

La médecine spécialisée a de tout temps été vigoureusement provoquée et soutenue par ses patients. Hélas, l’affection même des maladies du cerveau de nature psychiatrique empêche ou retient couramment le patient d’affirmer lui-même une action sociale tangible pour sa cause, visiblement pas autant qu’en sont capables les patients affectés d’une maladie cardio-pulmonaire ou d’autres organes.

Ce seront les grands philanthropes ayant une famille affectée qui provoqueront la recherche médicale et l’innovation dans le traitement des maladies psychiatriques majeures. « Le jour le plus long » pour les maladies du cerveau de nature psychiatrique s’achève peut-être.

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