Promenade Fleuve-Montagne

Un legs du 375e anniversaire « qui manque de vision claire » 

Inaugurée cette semaine avec deux mois de retard, la promenade Fleuve-Montagne a soulevé un tollé. Pas assez ceci. Trop cela. Banale. Inachevée. Terriblement coûteuse. Décevante. Les critiques sont-elles justifiées ? Nous sommes allés à sa découverte, histoire de poser un regard éclairé sur cet itinéraire en zigzag de 3,8 km à travers les rues de Montréal.

Qu’est-ce que c’est ?

Un parcours piétonnier reliant le fleuve Saint-Laurent et le mont Royal. Coût du projet : 49,7 millions de dollars, dont la moitié en travaux d’infrastructures, soit 8 millions de plus que prévu l’an dernier. Les dépassements, selon la Ville, sont dus à la complexité du projet et à la nécessité de faire des travaux plus importants sous la rue Sherbrooke. La promenade Fleuve-Montagne suit la rue McGill depuis la place d’Youville, dans le Vieux-Port, puis la côte du Beaver Hall et le square Phillips jusqu’à la rue Sainte-Catherine, et enfin l’avenue McGill College et la rue McTavish jusqu’à l’entrée du parc du Mont-Royal sur l’avenue des Pins, au coin de la rue Peel. Elle peut se faire du sud au nord ou du nord au sud.

C’est beau ?

Par endroits, oui. Mais, de l’avis de Philippe Poullaouec-Gonidec, architecte paysagiste et professeur à l’Université de Montréal depuis 29 ans, ce n’est pas une promenade au sens où on l’entend généralement. « C’est un circuit de mise en scène de la ville, de la montagne au fleuve », dit-il. Le projet comprend différents aménagements, comme l’élargissement de trottoirs sur certains tronçons, l’installation d’une nouvelle œuvre d’art public, des flèches sur les lampadaires, du marquage au sol, du mobilier urbain, des plantations de fines herbes et de légumes. On a retranché une seule voie de l’avenue McGill College pour y installer des terrasses avec de jolies chaises Adirondack bleu pétant. On a refait en partie la rue Sherbrooke, piétonnisé et aménagé la rue McTavish au coût de 25 millions de dollars, doté la rue McGill d’un petit marché et le parc Rutherford d’une bibliothèque éphémère.

C’est intéressant ?

Oui et non. Oui, si on part à la découverte de lieux historiques de Montréal (la place d’Youville, les fortifications, la tour de la Bourse, le square Phillips, la cathédrale Christ Church…), une carte à la main pour ne pas perdre son chemin. Non, si on veut vivre une expérience paysagère qui évoque le fleuve Saint-Laurent et le mont Royal. « Si l’idée est de relier deux symboles du paysage montréalais, il faut qu’on parle de ces symboles, explique M. Poullaouec-Gonidec. Ça prend une identité particulière, pas de multiples identités. Le thème est la clé de la promenade. Le chemin Olmsted, par exemple, est une promenade sur le thème de la nature. La promenade Fleuve-Montagne, elle, n’a pas de continuité, pas de vision claire sur le thème du fleuve et de la montagne. La Ville a perdu le fil de l’histoire qu’elle avait initiée. » De son côté, l’architecte Pierre Thibault caressait le projet d’un parcours le long de l’avenue du Parc, où ce lien entre le mont Royal et le Saint-Laurent aurait été évident.

C’est réussi ?

Les objectifs de la Ville étaient au départ « difficiles et ambitieux », comme l’a écrit le Conseil du patrimoine de Montréal (CPE) dans son avis publié en mars 2015. « Le CPE remarque une certaine tension entre le souhait de créer une promenade comme destination à des fins de loisirs et celui de l’aménager comme lieu de marche lié à une expérience de la ville au quotidien, pour se rendre d’un point à l’autre », précise le Conseil. « Il se questionne sur la compatibilité de ces deux caractères au sein du même projet, car il lui apparaît que ces objectifs peuvent créer des conflits fonctionnels. » En d’autres mots, ce tracé pose deux problèmes. Le premier, celui de sa lisibilité, car il est en zigzag. Le second, son arrimage avec la montagne et le fleuve, qui n’est pas clair.

Ça vaut le coup ?

Ça dépend pour qui. Pour les férus d’histoire et pour ceux qui s’intéressent aux interventions urbaines, peut-être. Mais ce n’est pas une activité familiale qui sera populaire ni une attraction incontournable qu’on retrouvera dans les guides touristiques, comme la High Line de New York ou le Freedom Trail de Boston. « Est-ce que les touristes vont se dire : “Let’s go, chéri, on va faire le parcours Fleuve-Montagne” ? J’en doute », rigole Valérie Plante, chef de Projet Montréal. « Montréal méritait mieux qu’un circuit de mise en valeur de Montréal », ajoute l’architecte paysagiste Philippe Poullaouec-Gonidec. Un circuit qui risque de tomber dans l’oubli au lendemain des festivités du 375e anniversaire.

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