Chronique

Une étude dérangeante pour le train de la Caisse

Avant de lancer un nouveau produit, les entreprises font des études de marché. Elles veulent vérifier si les consommateurs seront suffisamment nombreux à l’adopter, question d’en vérifier la rentabilité.

Vont-ils aimer le goût du nouveau biscuit, sa teneur en gras ? Quels prix seront-ils prêts à payer ? Quel dessert concurrent délaisseront-ils ?

Si les résultats sont très positifs, le produit sera lancé et les banquiers financeront l’affaire. Advenant une réponse mitigée, le produit sera modifié ou carrément abandonné.

Justement, la Caisse de dépôt a fait ce genre d’étude dans le cadre des estimations d’achalandage de son futur train léger. Or, les résultats ne sont pas à la hauteur.

Les sondages ont été réalisés en mai et juin dernier par Steer Davies Gleave (SDG), firme d’experts britannique embauchée par la Caisse. SDG a mené une série de sondages auprès de 3500 résidants situés dans les corridors projetés du futur Réseau électrique métropolitain (REM), soit vers la Rive-Sud, Deux-Montages et l’Ouest-de-l’île, entre autres (1).

Les personnes devaient se prononcer sur huit scénarios hypothétiques, où le REM était comparé à d’autres modes de transport (autobus, métro, auto, etc.). Les scénarios étaient conçus spécifiquement pour chaque répondant sur la base de ses différents modèles de déplacement (origine/destination, mode de transport, temps de déplacements, etc.).

Résultat : seulement 16 % ont déclaré qu’ils opteraient pour le REM dans les huit scénarios, tandis que 23 % ont affirmé qu’aucun des huit choix ne répondait à leurs attentes. Pour les 60 % qui restent, le REM a été choisi au moins une fois sur huit ; et autrement dit, leur réponse signifie peut-être ou parfois.

La firme SDG a été étonnée par la réticence des 23 % de jamais. Parmi eux, il y a les inconditionnels de la voiture, mais également des utilisateurs courants des transports en commun.

« Bien que cette résistance des automobilistes est typique partout dans le monde, l’analyse suggère aussi une résistance pour les utilisateurs actuels du transport en commun […] Cette information est surprenante pour les utilisateurs d’autobus, puisque le REM offrira un niveau de service amélioré en terme de qualité et de fiabilité », est-il écrit dans l’étude.

Plus long qu’en autobus !

SDG a poussé plus loin son analyse. À partir de différentes questions-réponses, elle a pu déterminer l’avantage que procurerait le REM en termes de gain de temps, une donnée cruciale pour son adoption. Or, les utilisateurs actuels du transport en commun ont plutôt jugé que le trajet en REM, en moyenne, leur prendrait PLUS de temps que leur mode actuel.

Le REM leur prendrait environ 6 minutes de plus que l’autobus, tout pris en compte, et quelque 11 minutes de plus que le métro ou le train. Pour les automobilistes, l’écart peut grimper jusqu’à 21 minutes.

« Nous nous serions attendus à ce que le REM soit aussi attrayant que le métro ou le train […] et perçu comme meilleur que l’autobus, qui n’est pas aussi confortable et sujet aux impondérables du trafic. Or, les utilisateurs du transport en commun soutiennent l’inverse », écrit SDG dans le rapport.

Différentes raisons peuvent expliquer ces résultats, selon SDG. D’abord, il y a une opposition face à l’élimination de la « route directe express vers leur destination finale ». Ensuite, SDG évoque une méconnaissance des qualités du REM. Enfin, il est question de résistance au changement.

En ne retenant que le groupe de 60 % qui répond « peut-être ou parfois », les experts de SDG constatent que les réponses convergent, cette fois, vers un gain de temps du REM. Cependant, ils jugent de par leur expérience « au Canada et partout dans le monde » qu’il faut plutôt tabler sur le groupe des 40 % pour faire une estimation de l’adoption éventuelle du REM (soit les 23 % de jamais et les 16 % de toujours), groupe qui constate une perte de temps.

En bout de course, SDG juge qu’il faut comparer avec les cas observés ailleurs dans le monde et renvoie à une annexe, sans plus de précisions. Et elle conclut, étonnamment : « L’analyse confirme qu’il est raisonnable d’attribuer au REM un avantage de 5 minutes sur l’autobus. Toutefois, l’incertitude de ce paramètre doit être pris en compte dans le scénario de référence [pour la mesure de l’achalandage]. »

Invitée à commenter le sondage, la Caisse soutient que ces résultats ont été pris en compte dans les estimations globales d’achalandage. Actuellement, l’achalandage est de plus de 85 000 passagers quotidiens, selon les chiffres qui circulent. Selon la Caisse, cet achalandage passera à 120 000 passagers par jour lors de la première année d’activité du REM, en 2021, puis grimpera progressivement à 161 000 en 2026.

« Tout changement rencontre de la résistance. En voyant les avantages, cette résistance va tomber progressivement avec le temps », dit le porte-parole Jean-Vincent Lacroix.

Curieux résultats, ne trouvez-vous pas ?

M’est avis que la Caisse aurait préféré un plus beau sondage avant de parler aux financiers du projet…

(1) L’étude ne précise pas le nombre de personnes sondées, mais la Caisse nous a fourni la réponse.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.