Hockey entrevue avec Jarmo Kekäläinen

Inspirer la relève

Jarmo Kekäläinen ne joue pas les faux modestes.

Il est fier d’être le premier directeur général européen de l’histoire de la LNH, fier de l’héritage qu’il pourrait laisser.

Le DG des Blue Jackets de Columbus ne s’y arrête cependant pas au quotidien. Il a bien trop de choses à faire, après tout…

« Oui, c’est une fierté, mais une fois en poste, je suis passé à autre chose. Il ne suffit pas d’être le premier DG européen, je veux être un bon directeur général et gagner des championnats », confie-t-il à La Presse au téléphone.

Depuis son arrivée, il y a deux ans, les Blue Jackets remontent tranquillement la pente. Exclus des séries 11 fois à leurs 12 premières années d’existence, ils viennent de connaître deux saisons gagnantes et ont participé aux éliminatoires au printemps 2014. Les nombreuses blessures expliquent en partie leur recul l’hiver dernier, mais plusieurs leur prédisent une belle saison cette année.

Kekäläinen, 49 ans, a frappé un grand coup en mettant la main sur Brandon Saad des Blackhawks de Chicago en retour de Marko Dano et Artem Anisimov. Saad, 22 ans, vient de connaître une saison de 23 buts et 53 points. Il est l’un des meilleurs jeunes attaquants de puissance de la ligue.

« Les Blackhawks tenaient Artem Anisimov à l’œil depuis un bon moment. Nous discutions, mais d’autres joueurs nous étaient proposés en retour. Quand, après leur Coupe, le nom de Saad a été évoqué pour la première fois, les choses se sont accélérées et on a réglé l’échange en quelques jours. »

« Se départir d’Anisimov et Marko Dano me chagrine, mais rarement peut-on mettre la main sur un attaquant d’impact de 23 ans qui a déjà remporté deux Coupes Stanley. » — Jarmo Kekäläinen

L’arrivée de Saad, l’éclosion de Ryan Johansen et Nick Foligno, la présence des vétérans Scott Hartnell et Brandon Dubinsky, un Boone Jenner en santé, sans oublier Cam Atkinson, donnent aux Jackets une attaque intéressante. La défense est solide avec Jack Johnson, Fedor Tyutin, David Savard et Ryan Murray, tandis que le gardien Sergei Bobrovsky représente une valeur sûre.

Sa première décision à titre de DG n’a cependant pas été heureuse. En avril 2013, quelques semaines après son entrée en poste, il échange Derick Brassard, John Moore et Derek Dorsett pour mettre la main sur le prolifique marqueur des Rangers de New York Marian Gaborik. L’expérience est infructueuse et Gaborik est échangé l’année suivante contre Matt Frattin et des choix de deuxième et troisième rondes.

Brassard est devenu un pilier au centre chez les Rangers. Il vient de connaître une saison de 60 points et il a été tout aussi productif en séries. Il reste à Kekäläinen une série d’espoirs dans cette transaction : Luke Adam, le gardien Elvis Merzlikins, Gabriel Carlsson et Kevin Strenlund.

« Si je le regrette ? Une nouvelle administration arrivait à Columbus et on voulait changer les choses. Derick Brassard est devenu un très bon joueur pour les Rangers et il n’y a pas eu de chimie entre Marian Gaborik et nous. On ne sait jamais comment les joueurs vont réagir à une transaction. C’était peut-être le changement dont Brassard avait besoin pour relancer sa carrière. Gaborik est un très bon joueur, à preuve, il a retrouvé ses moyens à Los Angeles. »

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L’aventure de Jarmo Kekäläinen en Amérique du Nord débute en août 1987, à l’âge de 21 ans. Ce jeune ailier gauche quitte Tampere, dans la Ligue d’élite de la Finlande, pour se joindre à l’équipe de l’Université Clarkson. « Je rêvais de jouer dans la Ligue nationale et je m’exprimais déjà bien en anglais, ayant choisi cette langue lors de mes cours à l’école. »

Déjà, à l’université, il goûte un peu au travail de gestion. « J’aidais mon agent à placer des joueurs en Europe », raconte-t-il.

Son agent ? Un certain Ray Shero, nommé quelques années plus tard à la tête des Penguins de Pittsburgh, puis actuellement DG des Devils du New Jersey.

La carrière de hockeyeur professionnel de Kekäläinen durera à peine six ans. Le temps de disputer une poignée de matchs avec les Bruins de Boston (et de croiser un jeune Stéphane Quintal, avec qui il se liera d’amitié) et les Sénateurs d’Ottawa.

À sa retraite, en 1995, on lui offre le poste de directeur général de l’IFK Helsinki même s’il vient tout juste d’avoir 29 ans. Shero, désormais le bras droit du DG des Sénateurs d’Ottawa, Pierre Gauthier, lui offre parallèlement un petit boulot de recruteur à temps partiel en Europe.

Quatre ans plus tard, les Sénateurs et leur nouveau DG Marshall Johnson lui offrent le poste de directeur du personnel, qu’il occupe pendant quatre ans. Il œuvrera en étroite compagnie de Trevor Timmins et André Savard au sein du groupe de dépisteurs. Pendant cette période, les Sénateurs repêcheront Marian Hossa, Martin Havlat, Anton Volchenkov et Antoine Vermette, entre autres.

« Peu d’Européens occupaient ce type de poste à l’époque, mais je n’ai jamais senti qu’on me traitait différemment en raison de mes origines. J’avais de bonnes relations avec Pierre Gauthier, Rick Dudley, Ray Shero, Marshall Johnson, André et Trevor. »

Nouvelle promotion en 2002, il est nommé adjoint au directeur général des Blues de St. Louis, Larry Pleau, et directeur du recrutement amateur. Le flair de Kekäläinen contribuera à la construction d’une équipe puissante. Outre Erik Johnson au premier rang en 2006, il repêchera David Backes, Roman Polak, Carl Soderberg, T. J. Oshie, Ben Bishop, Patrik Berglund, David Perron, Lars Eller, Alex Pietrangelo, Jake Allen, Jaden Schwartz et un certain Vladimir Tarasenko, désormais plus riche de 60 millions.

Il espère succéder à Larry Pleau, dont la retraite a été annoncée. À sa grande déception, le président John Davidson lui préfère Doug Armstrong en 2010. Amer, Kekäläinen rentre en Finlande et accepte le poste de DG de Jokerit.

« J’étais très certainement déçu, confie-t-il.

« Je rêvais de ce poste depuis des années et je ne l’ai pas obtenu. »

— Jarmo Kekäläinen

« J’en avais aussi assez d’être continuellement dans mes valises. Je ne voyais presque pas ma fille de 6 ans. Je m’ennuyais aussi de diriger un club. Je me suis dit que j’allais redoubler d’ardeur à Jokerit et que si l’équipe connaissait du succès, un club de la LNH finirait par me remarquer. J’ai pris soin d’inclure une clause qui me permettait de quitter Jokerit si je recevais une offre de DG dans la Ligue nationale. »

En février 2013, le nouveau président des Blue Jackets de Columbus, John Davidson, celui-là même qui ne l’avait pas choisi pour le poste de DG des Blues, congédie le directeur général Scott Howson et passe un coup de fil à Kekäläinen en Finlande.

Quelques jours plus tard, Jarmo Kekäläinen devient le premier DG européen de l’histoire de la Ligue nationale de hockey. « Je taquine parfois John sur le fait qu’il n’a pas voulu de moi la première fois, mais nous sommes passés à autre chose », dit-il en riant.

Ulf Sterner, un Suédois, a été le premier hockeyeur à jouer dans la LNH, en 1965. Borje Salming a suivi quelques années plus tard, non sans endurer quantité d’insultes au quotidien.

Les succès du Finlandais Jari Kurri avec les Oilers d’Edmonton, dans les années 80, a contribué à abattre plusieurs barrières. En 1989, Mats Sundin devenait le premier Européen à être repêché au premier rang. Dominik Hasek, Jaromir Jagr, Pavel Bure, Teemu Selanne, Nicklas Lidstrom ont suivi.

En 1997, les Red Wings de Detroit ont remporté la Coupe Stanley avec sept Européens en uniforme, et pas les moindres : Sergei Fedorov, Nicklas Lidstrom, Igor Larionov, Vyacheslav Kozlov, Vladimir Konstantinov, Viacheslav Fetisov et Tomas Sanstrom.

En 2012, Lidstrom est devenu le premier capitaine européen à soulever la Coupe, toujours avec Detroit.

« Comme la plupart des joueurs finlandais de ma génération, Jari Kurri était mon idole. Peut-être que les Coupes Stanley de Detroit ont aussi ouvert des portes. Les gens ont réalisé que les Européens pouvaient eux aussi contribuer au succès des équipes en séries éliminatoires. »

Kekäläinen reçoit parfois des messages de jeunes hockeyeurs qui disent vouloir suivre sa trace. « Tant mieux si je sers d’inspiration. On ne devrait pas tenir compte des origines lorsque vient le temps d’embaucher, mais plutôt des qualifications de la personne. »

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