Cœur de pirate

Crier tout bas au pied de la montagne

Cœur de pirate vit à un jet de pierre du mont Royal. Dès qu’elle sort de son appartement, la montagne se dresse au bout de la rue devant elle.

« C’est un symbole montréalais fort qui me rassure chaque fois. Ado, je m’y suis perdue quelques nuits sans que mes parents le sachent », me lance-t-elle avec un sourire moqueur.

C’était il y a un mois, le matin du 30 juin, à la veille d’un concert de Cœur de pirate à Moncton dans le cadre des célébrations du 150anniversaire du Canada.

Deux jours plus tôt, la belle enfant avait enflammé le public de la place des Festivals et du Festival de jazz lors d’une soirée consacrée aux artistes montréalais. Et le 19 août prochain, elle sera d’un autre grand concert en ville, Montréal symphonique, qui réunira les trois plus importants orchestres de Montréal : l’Orchestre symphonique de Montréal (OSM), l’Orchestre Métropolitain (OM) et l’Orchestre symphonique de McGill.

Ce soir-là, Cœur de pirate ne risque pas de se perdre sur le mont Royal puisqu’elle chantera au pied de la montagne, sous la statue L’Ange, où sera érigée la scène. Elle chantera oui, mais une seule chanson : Crier tout bas.

Une seule chanson ? Je viens d’apprendre de la bouche de Béatrice Martin que cette entrevue qui a été longue et difficile à organiser, nécessitant un échange abondant de courriels, de vérifications, de contre-vérifications et d’approbations de l’équipe de la chanteuse comme de celle du 375e anniversaire, était finalement pour une seule chanson ?

Cœur de pirate sourit de mon étonnement puis hausse les épaules d’un air un brin fataliste, l’air de dire : « c’est pas moi qui décide ».

Non pas que la jeune femme de 27 ans manque de choses à dire ni de projets. Cet été, en plus d’une tournée de festivals dans l’Ouest canadien, elle fera la navette entre Paris et Montréal pour participer à Nouvelle Star, sorte d’American Idol made in France diffusée prochainement sur M6. Elle fera partie du jury, à côté notamment de Benjamin Biolay. « C’est bien d’être juge, de pouvoir donner son opinion et de contribuer à partir de tes propres expériences. J’ai hâte », dit celle qui, au moment de notre rencontre, émergeait d’une pause de six mois où elle n’avait presque pas mis le pied sur une scène, ce qui, dans son cas, est quasiment un exploit.

« C’est cool d’avoir pris une pause et le fait de me retrouver sur scène après six mois de silence avec toute mon énergie, c’était magique. Autant dire que ça m’a aidée à me remettre sur les rails. »

— Cœur de pirate

Se remettre sur les rails… C’est donc dire que Cœur de pirate a l’impression d’avoir déraillé ? Elle me confirme que oui.

« À force de vivre exposée à tout vent, j’ai fini par oublier qui j’étais. La dépression s’en est mêlée. Là, j’essaie de me reconstruire à travers les concerts et ça marche plutôt bien, mais il n’en demeure pas moins que créativement, je suis bloquée. J’ai l’impression que c’est ce qui arrive quand tu veux devenir autre chose que ce que les gens attendent de toi. »

La raison de ce blocage, Béatrice Martin l’impute à sa trop grande exposition, voire à la perte totale de son anonymat. Je lui fais remarquer qu’elle a elle-même contribué à cette exposition en nous informant abondamment de ses humeurs, de ses amours du moment et de ses mariages et remariages sur les réseaux sociaux.

Nous revenons sur les fameuses photos de la cérémonie durant laquelle Béatrice et Alex Peyrat, qui étaient séparés, ont renouvelé leurs vœux en janvier dernier dans une ambiance « minimaliste bohémienne montréalaise », selon le site Junebug Weddings, qui a publié les photos.

Béatrice ne comprend pas pourquoi j’ai critiqué la publication de ces photos alors que, selon elle, c’est la norme pour tous les couples qui se marient aujourd’hui. Je lui fais remarquer qu’à cause de sa notoriété à elle, son couple ne sera jamais comme les autres.

« En tous les cas, j’ai eu ma leçon. Oh, que oui ! Maintenant, sur mes comptes, je ne mets que des infos de musique et de carrière. Rien d’autre », lance-t-elle.

« Si j’ai raconté ma vie comme je l’ai fait, c’est qu’à l’époque, c’était cool. C’était pour me rapprocher des gens, pas pour faire du click-bait ni me retrouver au cœur des nouvelles complètement inventées par des gens qui veulent juste se servir de mon nom. »

— Cœur de pirate

Toute cette exposition a fini par rendre Béatrice Martin malade et surtout par mettre fin pour de bon au couple qu’elle formait avec Alex Peyrat.

À la mention du nom de son ex, ses yeux s’embrouillent. « Tout ça, c’est de ma faute », dit-elle, l’émotion à fleur de peau.

Elle détourne le regard, le temps de se ressaisir, puis retrouve sa combativité. « J’aurais pu très mal finir, vous savez. J’ai commencé dans le métier très jeune. J’avais 18 ans. Je ne connaissais rien. Je pense que j’ai été sauvée par mon éthique de travail et parce que je tiens à mon public. Les gens qui me suivent et qui aiment mon travail, je les respecte et je suis attachée à eux. »

Malgré les tourments des derniers mois, la chanteuse affirme qu’elle a fait la paix avec qui elle est, la paix avec Cœur de pirate.

« Je pense bien que je vais continuer à faire de la musique, à moins évidemment que je pète une coche et que je décide subitement d’aller faire de la confiture ou d’élever des moutons en Estrie, mais je ne pense pas. Pour l’instant, ça va, enfin, ça s’en vient. »

Un mois après avoir « crié tout bas » au pied de la montagne, Cœur de pirate fêtera ses 28 ans. C’est dire qu’elle ne rejoindra pas les rangs du « club des 27 », ceux qui n’ont pas survécu aux affres du métier. Cœur de pirate, elle, est bien en vie, prête à nouveau à déployer ses ailes et à le crier sur quelques toits.

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