Leurs 100 premiers jours

Les chefs des quatre principaux partis se sont prêtés à un exercice peu commun que leur a proposé La Presse à l’approche de la campagne électorale : donner, avant le déclenchement de la campagne, un aperçu de ce que seraient leurs 100 premiers jours au pouvoir. Une façon de dégager les priorités d’un prochain gouvernement.

Aujourd’hui : le chef de la Coalition avenir Québec (CAQ), François Legault

Virage en santé, lutte contre les paradis fiscaux

En entrevue avec La Presse, les chefs des quatre principaux partis donnent un aperçu de ce que seraient leurs 100 premiers jours au pouvoir. Une façon de dégager les priorités d’un prochain gouvernement.

Aujourd’hui :  le chef du Parti québécois (PQ), Jean-François Lisée

Dès les lendemains d’une victoire électorale, un gouvernement péquiste donnerait un coup de barre au « navire de la Santé » et s’attaquerait aux paradis fiscaux dans un minibudget déposé au début de décembre.

Le versement des hausses de rémunération des médecins serait immédiatement suspendu. Et des négociations seraient lancées avec le Collège des médecins et les ordres professionnels du milieu de la santé pour que des actes actuellement réservés aux médecins puissent être réalisés par d’autres.

En entrevue à La Presse, le chef Jean-François Lisée nomme clairement la santé comme la priorité des 100 premiers jours d’un gouvernement qu’il dirigerait. Il tourne les pages d’un document qui décline, mois après mois, les changements qu’il apporterait dans le plus grand ministère de l’État, ce qu’il appelle le « navire de la Santé ».

« On ne fait pas la promesse d’abolir les listes d’attente, mais on veut de façon significative améliorer les choses », affirme-t-il.

Lors des premières réunions en octobre, le Conseil des ministres prendrait la décision d’aviser les ordres professionnels qu’un projet de loi serait déposé en février pour « décloisonner les actes cliniques ». « On veut que les infirmières en fassent plus, que les pharmaciens en fassent plus, que les orthophonistes en fassent plus… On dit aux 19 ordres professionnels : vous avez jusqu’à février pour négocier avec nous ce décloisonnement-là. Et là où il n’y a pas d’entente, on va trancher et on va légiférer », explique-t-il.

Ce n’est pas le seul front qui serait ouvert avec les médecins : il y aurait suspension « immédiate » des hausses de rémunération consenties en vertu des ententes signées entre leurs fédérations et le gouvernement Couillard. La mesure s’appliquerait autant aux spécialistes qu’aux médecins de famille.

« C’est clair que nous, on ne veut pas bretter là-dessus ! Il y a 7 milliards de dollars en jeu pour les huit prochaines années. Ces 7 milliards-là, ce ne sont pas les médecins qui doivent les avoir, ça doit aller dans les soins. »

Il convient qu’« il y aura de la résistance » de la part des fédérations médicales. « Mais à partir du moment où on sort d’une élection avec le mandat électoral de le faire, on est dans une situation qui est favorable », souligne M. Lisée. Il rappelle qu’environ 1000 médecins ont signé une pétition s’opposant aux augmentations obtenues par leur fédération.

Il reste que la suspension du versement des hausses revient à déchirer une entente signée par le gouvernement. « C’est clair que dans tous nos scénarios, il y a des enjeux légaux, il y a des enjeux juridiques, a-t-il reconnu. Il y aura probablement des contestations, probablement une conclusion de la négociation qui va faire lever la contestation, ou d’autres scénarios. »

Minibudget

Début décembre, l’Assemblée nationale serait appelée à siéger et un minibudget serait déposé.

Le gouvernement ajouterait « tout de suite » 100 millions de dollars dans les soins à domicile. « Ça veut dire 900 000 heures de service de plus », insiste le chef péquiste.

Une enveloppe de 100 millions serait ajoutée chaque année par la suite, pour un total de 500 millions par an à terme.

Un gouvernement péquiste ne ferait pas un grand brassage de structures. La réforme Barrette serait toutefois amendée pour augmenter l’autonomie des conseils d’administration des établissements et réduire les pouvoirs du ministre, qui se sont accrus sous Gaétan Barrette.

Geste fort contre les paradis fiscaux

Toujours dans son minibudget, M. Lisée prévoit déjà « dénoncer les conventions fiscales entre le Québec et les pays qui sont des paradis fiscaux ». On compte une douzaine de ces accords : le fédéral les a approuvés, le gouvernement Trudeau a même ajouté 3 pays à cette liste depuis 18 mois, une décision entérinée par le gouvernement Couillard.

Rapidement après les élections, un gouvernement péquiste ferait un « geste fort contre les paradis fiscaux ». Et ce n’est pas un vœu pieux, assure M. Lisée.

« Il n’y a aucune obligation pour le régime fiscal québécois de faire la même chose que le fédéral. Nous dirons : à compter de janvier 2019, vous devrez déclarer les revenus faits dans les paradis fiscaux, et payer de l’impôt québécois sur ces sommes. »

Selon lui, cette obligation nouvelle changerait la donne. À l’heure actuelle, les contribuables agissent en toute légalité : « Cela va changer complètement, ces gens sont allés là parce que leur comptable leur disait que c’était légal. Si cela devient illégal, vont-ils décider de devenir fraudeurs ? » Les paradis fiscaux sont des « trous noirs » ; impossible de prédire le niveau des rentrées supplémentaires qu’entraînerait cette obligation, convient M. Lisée. Il fait le pari que, devant le risque de recours par Québec, « un bon nombre de gens vont dire : “Je n’ai pas fait ça pour frauder, mais pour économiser de l’impôt” ».

Pour ses vérifications, Revenu Québec devrait pouvoir compter sur les informations détenues par le gouvernement fédéral, qui comptabilise les investissements non taxés faits par les Canadiens dans ces pays. « On devrait pouvoir avoir accès à ces informations, c’est une belle conversation à avoir avec le fédéral. Il y a des élections fédérales en 2019, cela tombe bien s’ils ne veulent pas nous dire le nom des fraudeurs ! », souligne M. Lisée.

Les fraudeurs qui se démasquent volontairement à l’heure actuelle ne paient que leur dû au fisc. Si le Parti québécois (PQ) était au pouvoir, ils seraient frappés par des amendes. Les déclarations volontaires de ces fraudeurs augmentent chaque année « parce qu’ils sentent que l’étau se resserre ». « Nous, on dit qu’il n’y aura plus de partie gratuite pour les paradis fiscaux », dit le chef péquiste.

Trois lois rapides au programme

Langue, laïcité et immigration

Dans les 100 premiers jours, un gouvernement du PQ présenterait une nouvelle loi 101, en plus d’adopter deux autres projets de loi sur l’immigration et la laïcité avant l’été 2019.

Avec une « loi 202 », Jean-François Lisée compte, par exemple, assujettir « graduellement » les entreprises de 25 à 50 employés à la Charte de la langue française.

« On estime qu’il y a 40 000 allophones dans la région de Montréal qui travaillent dans ces entreprises qui sont majoritairement anglophones, donc c’est un vecteur d’anglicisation », soutient-il.

Un gouvernement péquiste exigerait que les candidats à l’immigration de la catégorie des travailleurs qualifiés, ainsi que leur conjoint, aient une bonne connaissance du français avant d’être admis au Québec. Ce serait une condition à leur sélection.

Le PQ veut également que les entreprises à charte fédérale comme les banques soient soumises à la loi 101.

Un gouvernement péquiste adopterait avant l’été prochain « deux lois importantes sur le vivre-ensemble ». L’une pour améliorer l’intégration en emploi des immigrants. L’autre sur la laïcité, afin, entre autres, d’interdire le port de signes religieux chez les juges, procureurs, policiers et gardiens de prison, mais aussi pour les éducatrices en garderie et les enseignants du primaire et du secondaire (on parle des futures embauches seulement ; les employés actuels auraient un droit acquis). Il n’est plus question pour le chef péquiste d’ouvrir la porte à une interdiction du voile intégral dans l’espace public.

Souveraineté

Un gouvernement péquiste mènerait « les combats du Québec au sein du Canada ». « Mais on ne fera pas de geste de souveraineté », indique M. Lisée. Le PQ promet qu’il n’y aurait pas de référendum avant un éventuel deuxième mandat parce que les électeurs « ne sont pas dans le mood de prendre de grandes décisions ».

Au pouvoir, il utiliserait les fonds publics uniquement pour mettre à jour des études sur la souveraineté, mais « il n’y aura pas de promotion de l’indépendance ». « On parle de sommes relativement mineures », souligne-t-il, en rappelant que le gouvernement Bourassa avait commandé de telles études après le naufrage de Meech.

QUESTIONS EN RAFALE

Atteindrez-vous la parité hommes-femmes parmi vos candidats ?

« On va être dans la zone de parité. » (Entre 40 % et 60 % de candidatures féminines.)

Y aurait-il parité dans un Conseil des ministres péquiste ?

« Ce sera paritaire aussi. »

Quelle a été la meilleure décision du gouvernement Couillard ?

« Quand il a annulé la baisse de 500 $ du crédit d’impôt aux aînés qu’il avait faite. »

Quelle a été la pire décision du gouvernement Couillard ?

« Dès la deuxième année du mandat, [même si les élus libéraux] étaient en surplus, ils ont continué à couper en éducation et en santé. Ils ont fait de la misère humaine pour se faire une cagnotte » électorale.

Quel a été votre meilleur coup ?

« Le grand déblocage [le plan de transport pour la grande région de Montréal en remplacement du REM]. On a travaillé comme des malades, c’était incroyable. Je suis très content de l’avoir fait. »

Quel a été votre moins bon coup ?

« Je vais passer… Un des bons coups de Philippe Couillard, c’est d’arrêter de répondre [à la question du] pire coup. Parce que c’est toujours ça qui est surcouvert. »

Qui est votre principal adversaire ?

« C’est le cynisme. On ne croit plus les politiciens, on ne les écoute plus. C’est pire qu’avant. »

Qui est votre principal conseiller ?

« C’est Véronique Hivon. C’est elle que je consulte le plus sur le plus de sujets. Elle est dans toutes les décisions stratégiques, même tactiques. À la fin, je tranche, mais elle a une grosse influence. » M. Lisée a nommé Mme Hivon vice-cheffe plus tôt cette année.

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