Opinion

La sémantique de la mort assistée

On a tout entendu depuis 10 jours : « Barbarie. C’était pas prévu. Pourquoi la juge fait ça ? Maladroit. On n'a pas demandé ça. Rajoutez une ministre complètement dépassée. Quelle inutile période de confusion ! »

Pause ! Peut-on, au Québec, pour une fois, nommer précisément les choses.

Je cite la juge Beaudoin : 

«  [744]… l’inconstitutionnalité de celle-ci [la mort raisonnablement prévisible] ramène l’état du droit à ce qu’il était au Canada à la suite de l’arrêt Carter et ne crée donc pas un vide juridique… »

Me semble que c’est clair ! Retour à Carter. Bye bye la bien-pensance des Wilson-Raybould et Philpot… et j’en suis le plus heureux.

Que dit Carter sur qui peut recevoir l’aide médicale à mourir (AMM) : 

«  [127]… l’aide d’un médecin pour mourir à une personne adulte capable qui (1) consent clairement à mettre fin à sa vie ; et qui (2) est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables (y compris une affection, une maladie ou un handicap) lui causant des souffrances persistantes qui lui sont intolérables au regard de sa condition. Il convient d’ajouter que le terme “irrémédiable” ne signifie pas que le patient doive subir des traitements qu’il juge inacceptables… »

Là aussi c’est clair. Sans la clause de fin de vie prévisible ou non, Carter et notre loi, c’est la même chose ! N’a-t-il pas d’ailleurs été suggéré que la Cour suprême s’était inspirée de notre loi ?

Sans doute. Mais il y a plus. N’avez-vous pas noté que la Cour suprême s’est bien assurée de ne pas lier la souffrance à quelque diagnostic ou catégorie diagnostique que ce soit… comme la santé mentale ! Eh oui ! Carter, implicitement, permet l’accès à l’AMM en santé mentale.

Fin de cette discussion.

Mais vous me direz peut-être : pourquoi nous ne l’avons pas dit clairement, nous, dans notre loi ? C’est très simple ! Nous n’avions pas le choix ! 

En effet, notre formidable démarche nous obligeait à réussir à nous soustraire aux interdits du Code criminel (meurtre, suicide) et pour ce faire, nous avons réalisé une prouesse juridique, validée par la cour : nous avons fait de l’AMM juridiquement « un soin ». Un soin dans un contexte de mort imminente (ou raisonnablement prévisible). Mais, voyez-vous, rarissimes sont les problèmes de santé mentale qui peuvent entraîner une mort imminente ou raisonnablement prévisible. Ça, c’est l’apanage de la santé physique.

D’inclure la santé mentale aurait été complexe et aurait inévitablement fait dévier le débat vers le suicide médicalement assisté.

Voilà. Je viens d’écrire le gros mot : suicide. Je vous pose la question : suicide médicalement assisté et balisé contre aide médicale à mourir, sans mort imminente ou raisonnablement prévisible, y a-t-il une différence morale, éthique ou juridique ?

Je vais vous aider car vous répondrez du même coup à cette question : 

« If I cannot give my consent to my own death, whose body is this ? Who owns my life ? »

C’était la question posée par Sue Rodriguez à la Cour suprême. Le suicide avec une aide médicale était sa demande. La Cour a répondu « non » dans une décision partagée 5-4 en 1992, « oui » unanimement en 2015 via Carter.

On va où maintenant ?

D’abord modifier les lois fédérale et québécoise d’ici le 12 mars prochain devrait être assez simple puisqu’il ne peut s’agir que de retirer les critères de fin de vie.

Établir des règles d’application est une tout autre chose et d’ici le 12 mars, c’est impossible. Mais je dis rassurez-vous ! Le 13 mars au matin, si de telles règles (établies par le Collège des médecins) ne sont pas en place, il arrive quoi ? Rien. Tous les médecins vont même être soulagés de s’abstenir ! Revenons à notre consensus parlementaire, débattons, éduquons, éduquons-nous, et ça prendra le temps que ça prendra.

Vous aurez compris que je souhaite que nous mettions tous de l’ordre dans le discours. Tout est actuellement mélangé.

Comme je viens de le montrer il y a un droit existant lequel exige des règles d’application.

Mais nous sommes à l’aube d'écrire un droit nouveau et dans la confusion actuelle, on est bien mal parti. Il s’agit du consentement préalable. Et ça, Carter ne le prévoit pas.

Recentrons-nous. En privé, la population dit souvent : « Quand je serai rendu là, je veux partir. » « Là », ça peut vouloir dire bien des choses, mais ça veut toujours dire quelque chose de grave, et parfois dans un cadre d’inaptitude à consentir.

Un consentement à recevoir l’AMM préalablement à quoi ? Quand ? Comment ? Préalablement à la survenue d’une seule catégorie diagnostique telle la démence ? Préalablement à la survenue d’un état clinique, l’état neuro-végétatif, lequel peut survenir à tout âge et à la suite d’une multitude de diagnostics ? De limiter le discours à la maladie d’Alzheimer, comme on le fait actuellement, est pour moi une grande erreur.

Pas simple du tout, mais quel beau sujet à débattre !

Ce droit nouveau ne pourra être écrit que par le gouvernement fédéral puisqu’il sera dans le Code criminel. Devrions-nous faire le débat au Québec ? Absolument ! Un, parce que nous avons démontré que nous pouvions le faire sereinement. Deux, parce que le gouvernement fédéral aura besoin d’appuis.

Je dis : cessons nos débats sémantiques (AMM, suicide médicalement assisté, ouverture, pas d’ouverture), Carter a pas mal réglé tout ça, et revenons immédiatement à notre formidable consensus parlementaire et débattons, en commission, et prenons le temps.

Ce texte provenant de La Presse+ est une copie en format web. Consultez-le gratuitement en version interactive dans l’application La Presse+.