Nicaragua

Des manifestations qui font craindre un « nouveau Venezuela »

Au moins 10 personnes sont mortes et des dizaines d’autres ont été blessées depuis le début des manifestations mercredi contre la réforme des retraites, au Nicaragua. Hier, le président Daniel Ortega est sorti de son silence après trois jours d’affrontements dans les principales villes du pays. Pendant ce temps, des Québécois qui se trouvent sur place sont sur un pied d’alerte. 

Des nuages de fumée, des barricades de pneus enflammés, des civils avec des masques à gaz, d’autres avec des matraques ou de simples pancartes. Ce sont les images qui parviennent de Managua, capitale du Nicaragua, depuis quelques jours.

À une soixantaine de kilomètres de là, à El Transito, petit village de la côte ouest, rien n’indique qu’une révolte secoue la métropole. Une quarantaine de Québécois logent au Free Spirit Hostel. Hier, pendant qu’ils surfaient sur les vagues ou se prélassaient en hamac, les propriétaires, eux, étaient sur un pied d’alerte.

« Le sentiment d’inquiétude est très élevé, admet Félix Gauthier, l’un des copropriétaires du Free Spirit Hostel joint par La Presse. Nous essayons de faire la part des choses à travers l’information que nous trouvons et des contacts que nous avons ici, que ce soit à l’ambassade, auprès de la police, chez des amis… »

« La plus grande peur n’est pas qu’il y ait des débordements, ici à El Transito, mais plutôt une qu’il y ait une dégradation de la situation et qu’il n’y ait plus aucune option de sortie du pays, plus d’accès aux épiceries, etc. Bref, que ce soit un nouveau “Venezuela”. »

— Félix Gauthier, copropriétaire du Free Spirit Hostel

Ignorant ce qui l’attend ces prochains jours, l’auberge de jeunesse a accumulé de nouvelles réserves de nourriture, d’eau potable et de gaz. Les propriétaires ont envoyé des avis aux clients devant arriver cette semaine pour leur offrir un remboursement et les dissuader de se rendre au Nicaragua dans les conditions actuelles. Ceux qui étaient déjà sur place devaient être rencontrés en soirée pour une mise au point.

« Nous avons discuté avec notre chauffeur afin d’avoir le service le plus rapide et le plus fiable pour se diriger à l’aéroport dans les heures d’accalmie, soit le matin de 5 h à 11 h », a expliqué M. Gauthier, avouant explorer tous les scénarios possibles et évaluer la situation au jour le jour avec ses partenaires. « Nous envisageons sérieusement de fermer l’hôtel à compter de lundi jusqu’au début du mois de mai. »

Audrey Gagnon, une Montréalaise qui doit quitter le Nicaragua mardi matin, ignore la tournure que prendront ses derniers jours sous le soleil.

« On reçoit l’information par des ouï-dire. Ça évolue vite. Mon vol de retour est mardi matin, à Managua, à 7 h. On ne sait pas si les routes pour l’aéroport seront bloquées », confie la jeune femme.

Les Québécois sont nombreux à visiter le Nicaragua, mais aussi à y investir. Au moins une demi-douzaine de jeunes entreprises aux racines québécoises y ont vu le jour ces dernières années. Le Free Spirit Hostel est du nombre, de même que Surf Expédition.

« Le chauffeur avec qui je fais affaire depuis cinq ans est allé à la première manifestation, et c’était horriblement violent, à ce qu’il m’a dit. Il est maintenant barricadé chez lui, comme la plupart des citoyens de la grande ville », a expliqué Sébastien Langelier, propriétaire de Surf Expedition.

« Par contre, il faut avouer que sur la côte, c’est très tranquille et sûr. Les manifestations ne se déroulent vraiment que dans les grandes villes comme Managua », a expliqué M. Langelier, qui a bon espoir que la tempête politique s’estompe rapidement et que la situation retrouve vite son calme habituel.

Émeutes éphémères ou révolution en devenir ?

Une révision de la réforme des retraites – le principal enjeu débattu sur la place publique – apparaît comme la solution pour mettre un terme au conflit. Mais il pourrait en être autrement, la véritable source des manifestations étant beaucoup plus profonde, croit un expert consulté par La Presse.

« La cause immédiate et apparente de ces manifestations, c’est l’annonce de la réforme de la sécurité sociale. Or, la protestation a une origine beaucoup plus profonde. Ce qui devient à la fois intéressant et inquiétant, c’est que ça a toutes les allures d’une opération de déstabilisation qui me fait penser à la violence qu’on a vue au Venezuela », avance Claude Morin, professeur d’histoire spécialiste de l’Amérique latine à l’Université de Montréal.

Le professeur explique que le président actuel, Daniel Ortega, est un « dinosaure ». Bien qu’en poste depuis 2007, il orbite autour du pouvoir depuis 1979. À l’instar de certains de ses homologues d’Amérique centrale, il est parvenu à modifier la Constitution afin de se donner le droit de cumuler les mandats au pouvoir. S’il est parvenu à conclure des pactes avec une fraction de l’opposition, « des mouvements cherchent à l’ébranler », tout particulièrement depuis sa réélection à un troisième mandat, en 2016.

« C’est comme si ses opposants profitaient de cette histoire de réforme pour mobiliser l’opinion publique contre le gouvernement, à leur avantage. Est-ce que ça va durer ? Je l’ignore. »

— Claude Morin, professeur d’histoire spécialiste de l’Amérique latine, Université de Montréal

Quand le président Daniel Ortega est sorti de son silence, hier, pour assurer que son gouvernement allait renouer le dialogue, il a affirmé que les manifestations étaient soutenues par des groupes politiques opposés à son gouvernement et financés par des organisations extrémistes des États-Unis, sans toutefois les nommer.

Leur but est de « semer la terreur, semer l’insécurité », « détruire l’image du Nicaragua » après « 11 ans de paix » afin de « prendre le pouvoir », a-t-il clamé.

Plus tôt, la vice-présidente, Rosario Murillo (qui est aussi la femme du président), avait annoncé que le gouvernement était disposé à discuter de la proposition d’augmenter les contributions des employeurs et des salariés au régime de retraite, à l’origine de la vague de protestations. Le président l’a confirmé dans une déclaration à la télévision nationale, sans toutefois annoncer de date pour l’ouverture du dialogue.

— Avec la collaboration de Fanny Lévesque, La Presse et de La Presse canadienne

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