Il ne faut pas ne pas en parler

Il n’y a peut-être pas eu de « question de l’urne » aux dernières élections québécoises, mais on peut dire que la CAQ a travaillé fort pour imposer un « enjeu de l’urne », celui de l’immigration.

Pour le meilleur et pour le pire.

Car le problème avec ce débat identitaire, c’est qu’il a malheureusement tendance à faire ressortir le plus grinçant de chacun, en plus d’inciter candidats, élus et ministres à dire tout et n’importe quoi. Pas juste à la CAQ, d’ailleurs.

D’un côté, on joue avec la peur de l’autre et des wokes, on brandit la menace à la cohésion et à la nation. Et de l’autre, on ne se gêne pas pour taxer de xénophobie et d’étroitesse d’esprit tous ceux qui osent aborder les enjeux de seuils et d’intégration des immigrants.

L’ancien chef libéral Philippe Couillard évoquait même les « braises de l’intolérance » sur lesquels soufflaient ceux qui remettent en question le nombre d’immigrants reçus, comme s’il y avait quelque chose de sulfureux ne serait-ce qu’à évoquer le sujet.

Et ne pensons pas qu’il s’agit d’un enjeu propre à la société distincte qu’est le Québec : l’identité se taille une place croissante dans le débat, ici et ailleurs, y compris au Canada.

Rappelez-vous les élections fédérales de 2019. Les enjeux identitaires y étaient omniprésents : Maxime Bernier qui dit non à « l’immigration de masse », Yves-François Blanchet qui se dit le fier représentant du « nous » québécois, Jagmeet Singh qui perd des supporters dans les Maritimes pour cause de turban, etc.

De toute évidence, l’identité a réussi à se frayer un chemin parmi les thèmes dominants du débat public. Au point qu’on peut se demander si, au Québec, cette question n’a pas remplacé la souveraineté comme principal enjeu de division.

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C’est en guise de « post-mortem » des dernières élections que j’ose aborder ici cet enjeu délicat, car la leçon que nous tirons à La Presse des 36 jours de campagne, c’est qu’il faut justement… oser aborder cet enjeu délicat !

C’est ce que nous nous engageons à faire davantage au cours des prochains mois, des prochaines années. Afin d’amener plus de clarté, de faits et de statistiques à un débat qui laisse trop souvent place aux énormités et aux procès d’intention.

Prenez seulement le nombre d’immigrants : existe-t-il réellement une « capacité d’intégration » qui serait dépassée au 50 001e immigrant ?

Les cibles des partis, qui varient de 35 000 à 80 000, ont-elles le moindre fondement scientifique ?

L’immigration est-elle une menace à la vitalité du français et à la préservation des valeurs québécoises, comme on l’entend ? Ou est-elle une solution à la pénurie de main-d’œuvre et à la baisse démographique du Québec ? Ou tout cela à la fois ?

L’« anglicisation » de Montréal est-elle provoquée par l’immigration ? Ou devrait-on plutôt parler d’une « défrancisation » de l’île causée par l’exode des jeunes familles francophones vers les couronnes ?

Existe-t-il des approches qui fonctionnent pour faciliter l’intégration et assurer une cohabitation harmonieuse ? Le gouvernement investit-il les ressources nécessaires à la francisation des immigrants ? Le Québec a-t-il vraiment besoin de pouvoirs supplémentaires, ou exagère-t-il l’importance des réfugiés et des réunifications familiales ?

Bref, bien des questions, mais peu de réponses.

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Clairement, ces questions agiront comme lames de fond du débat public des prochaines années. Qu’on le veuille ou non.

Et c’est pourquoi nous continuerons à couvrir le sujet, comme nous le faisons déjà, mais en ajoutant des ressources. Nous affecterons ainsi un journaliste à temps plein aux questions identitaires. Nous multiplierons les dossiers et analyses. Nous creuserons encore davantage les enjeux et vérifierons les faits. Le tout afin que vous, lecteurs, soyez plus à même de vous faire une tête sur ces questions d’actualité.

C’est d’autant plus important qu’on ne peut résumer l’immigration à des clichés trop souvent entendus, comme « la violence » ou « le chômage ». On ne peut la voir uniquement comme une menace à « notre façon de vivre » ou un risque de « louisianisation » du Québec.

De la même manière, on ne peut pas aborder le sujet seulement par l’apport économique des nouveaux arrivants et l’afflux d’anges gardiens dans les hôpitaux.

On ne peut faire abstraction du fait que le Québec est une minorité culturelle et linguistique qui est et demeurera toujours sous pression.

C’est d’ailleurs ce qui peut expliquer en partie le score impressionnant de la CAQ, lundi dernier, malgré une campagne critiquée pour son manque de considération pour les immigrants : il existe une crainte bien réelle quant à l’avenir du Québec, et les propos de François Legault à ce chapitre ont fait mouche. À tort ou à raison.

D’où l’importance d’approfondir la question de manière factuelle et posée, d’être un espace de dialogue ouvert et responsable, surtout dans l’optique des remous que provoqueront possiblement, dans les prochains mois, les référendums sur les pouvoirs en immigration évoqués par le premier ministre québécois et l’intervention du premier ministre fédéral sur la loi québécoise sur la laïcité.

L’immigration n’est ni un échec ni une panacée, c’est un enjeu maintenant dominant que nous creuserons davantage à La Presse.

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