BIOQuébec

« Nous devons mieux intégrer nos innovations au Québec »

Après avoir essuyé les conséquences de la crise financière, l’industrie québécoise des sciences de la vie relève la tête. Mais les innovations lancées au Québec sont encore trop souvent commercialisées d’abord à l’étranger avant de l’être dans la province, affirme Anie Perrault, directrice générale de BIOQuébec. Cette organisation à but non lucratif représente depuis 25 ans les intérêts des entreprises de la biotechnologie et des sciences de la vie.

Quel a été l’impact de la crise financière de 2008-2009 sur BIOQuébec ?

L’organisation était passée de 250 membres à 40. La crise financière s’était traduite en fermetures de centres de recherche. Cela a pris quelques années pour retrouver un certain dynamisme. Cela va beaucoup mieux depuis 2015. Nous comptons à présent plus de 100 adhérents.

Est-ce que l’industrie s’est transformée depuis la crise ?

Des changements technologiques majeurs sont survenus, comme l’arrivée de la génomique qui a modifié le modèle d’affaires et la façon de développer les produits. Les nouveaux traitements sont de plus en plus adaptés au profil génétique des patients. Dans les prochaines années, l’intelligence artificielle jouera un rôle important pour accéder aux données du patient, et ainsi lui administrer un médicament personnalisé. Mais nous devons mieux intégrer nos innovations dans notre système de santé.

C’est-à-dire ?

Au Québec, les sciences de la vie connaissent le même phénomène que les arts et la culture : pour se faire accepter ici, on a avantage à commencer par faire ailleurs. Des innovations québécoises sont intégrées aux systèmes de santé américain et européen, mais pas ici.

Par exemple ?

L’entreprise GenePOC, basée à Québec, a développé un test diagnostique qui indique rapidement si une infection est de type bactériologique ou viral. L’Ontario utilise ce test, développé grâce aux techniques de génomique du Dr Michel G. Bergeron… Mais au Québec, on utilise encore les tests qui prennent trois jours pour obtenir la même information. Oui, le test de GenePOC est plus cher, mais dès que le diagnostic est posé, on peut libérer un lit d’hôpital et envoyer le patient chez lui avec la bonne médication. Et ces coûts ne sont pas pris en compte lors des achats de tests.

Êtes-vous pessimiste sur la capacité du Québec à mieux intégrer ses innovations ?

Dans le dernier budget du gouvernement, il y a la volonté de créer un bureau favorisant l’intégration des innovations. Mais cela risque de prendre du temps. Et puis, nos entreprises manquent de financement à long terme. Au Québec, on est bon en recherche fondamentale, mais quand on part en production, cela se passe souvent à l’étranger. Le programme gouvernemental BioMed Propulsion, lancé l’hiver dernier, est un pas dans la bonne direction. Mais on aura besoin de plus que 20 millions de dollars par année.

Comment le Québec peut-il résister à la montée du Massachusetts dans les sciences de la vie ?

Il ne faut pas se voir en concurrence, mais plutôt en collaboration. Nous devons développer nos relations avec les territoires qui bougent. C’est le cas de Boston. Nous sommes en train de finaliser une entente de collaboration avec MassBio, notre homologue du Massachusetts. Leurs entreprises s’intéressent au Québec, notamment pour notre offre de services de recherche et d’essais cliniques. Le Québec peut mettre en avant une qualité comparable à coût moindre. Et notre système public de santé facilite l’accessibilité aux données des patients, alors que le système américain crée des cloisons entre les hôpitaux et les chercheurs.

L’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche est-elle inquiétante pour l’industrie québécoise ?

La volonté protectionniste de Donald Trump risque d’inciter de grandes entreprises à se concentrer davantage sur le marché américain, en délaissant les plus petits. Or, le Canada est bien un petit marché avec ses 35 millions d’habitants. Aussi, les coupes annoncées par le président américain en recherche fondamentale présentent une autre menace. Dans le monde, la recherche se fait en collaboration. Nos chercheurs travaillent beaucoup avec des chercheurs américains et européens. Quand une coupe survient dans ces pays, ce serait se mettre la tête dans le sable que de croire qu’il n’y aura pas d’impact ici.

Financement, concurrence et inquiétudes

Financement et biotechs

Lancé en novembre dernier par le gouvernement du Québec, le programme BioMed Propulsion propose des prêts d’une somme maximale de 10 millions de dollars aux entreprises de biotechnologie ou des technologies médicales. Ce soutien vise à accompagner les firmes québécoises à fort potentiel de croissance pour leur permettre de commercialiser les résultats de leur recherche. Le financement peut s’étaler sur une durée de 10 ans. Pour chaque somme prêtée, l’entreprise doit obtenir trois fois ce montant auprès d’investisseurs privés.

Financement, concurrence et inquiétudes

Recherche contractuelle

Le Québec compte 71 organisations de recherche contractuelle (ORC), qui proposent des services de recherche et d’essais cliniques. BIOQuébec estime le poids de ces organisations à 4375 emplois directs et à un chiffre d’affaires de 550 millions ; 82 % de leurs revenus proviennent de clients étrangers, majoritairement des entreprises pharmaceutiques. Les ORC représentent 20 % de l’activité de l’industrie des sciences de la vie ; 76 % d’entre elles ont connu une croissance de leur activité depuis trois ans.

Financement, concurrence et inquiétudes

Québec c. Massachusetts

Au Québec, l’industrie des sciences de la vie générerait plus de 50 000 emplois directs et indirects, selon BIOQuébec. Pas très loin de chez nous, le Massachusetts compte plus de 63 000 employés dans le secteur, en hausse de 37 % depuis 10 ans, d’après les chiffres de MassBio, l’organisation représentant l’industrie dans l’État du nord-est des États-Unis. Et là où le Québec regroupe 135 biotechs, elles sont 250 uniquement à Boston.

Financement, concurrence et inquiétudes

Les biotechs et Trump

Quelque 150 dirigeants d’entreprises américaines de biotechnologie s’étaient émus du décret anti-immigration de Donald Trump. Ces chefs d’entreprise s’inquiétaient de voir la domination américaine menacée par la politique migratoire du président des États-Unis. Cette position de chef de file s’expliquerait par les occasions favorables ouvertes aux immigrants, assurent ces patrons dont plusieurs sont nés sur d’autres continents. « C’est ce qui a permis à notre pays d’attirer les meilleurs talents où qu’ils se trouvent », soulignaient-ils.

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