ÉDUCATION

La « pleine conscience » entre à l’école

Appelée « pleine conscience », « présence attentive » ou « mindfulness », la méditation profite d’un engouement qui gagne le milieu scolaire, où on commence à y voir un moyen de réduire l’anxiété et le stress chez les enfants, à un point tel que l’Université du Québec à Montréal offrira en janvier un programme pour former les enseignants à la présence attentive.

UN DOSSIER DE Marie-Eve Morasse

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« Vraiment cool », la méditation

C’est un matin d’octobre un brin traumatisant pour les élèves de quatrième année de l’école Birchwood, à Saint-Lazare, à l’ouest de Montréal. Le petit pansement que les enfants ont au bras et les toutous qui les ont accompagnés cette journée-là en témoignent : les vaccins reçus plus tôt ont fait mal, très mal. 

La présence dans leur classe de l’animatrice de la vie spirituelle tombe à point. Les yeux fermés, les enfants sont invités à se concentrer sur leur souffle qui, explique Marie-Christine Boily, sera utilisé comme une ancre pour ramener les pensées qui auraient tendance à trop dériver.

Quelques respirations plus tard, les enfants peuvent dire ce qu’ils ont ressenti. Des mains se lèvent, le constat apparaît évident : la satanée piqûre a plombé la matinée. « Ça m’a fait oublier le vaccin », dit Hamza. Un ami renchérit : « Le vaccin faisait moins mal ! »

Que les élèves portent attention à ce qu’ils ressentent : c’est l’objectif de l’école de quelque 400 élèves de la commission scolaire Lester-B.-Pearson. Cette année, tous auront la visite de Marie-Christine Boily dans leur classe deux fois par mois, dans le cadre d’un projet-pilote qui mesurera les effets de la présence attentive.

« On est dans la pratique : je respire par le nez, j’écoute les bruits autour de moi. Ils sont petits et je veux qu’ils aient plus d’outils pour savoir comment gérer leur stress. Ces formations-là, c’est un investissement parce que notre équipe croit que c’est important. »

— Dominique Daoust, directrice de l’école Birchwood, à Saint-Lazare

Dans quoi investit-on, au juste ? Le « mindfulness », ou présence attentive, tire son origine d’une pratique bouddhiste de méditation.

« Ça s’inscrit dans les mouvements de thérapies cognitives comportementales, présentes depuis les années 50. C’est un nouveau courant qu’on appelle les thérapies de troisième vague, arrivé à la fin des années 80, début 90 », explique Fabienne Lagueux, professeure au département de psychologie de l’Université de Sherbrooke.

Méditer ne veut pas dire être immobile, « faire des hum-hum ou faire le vide dans sa tête », précise la chercheuse. Il ne s’agit pas plus de « devenir un maître bouddhiste ». C’est une « habileté » qui s’acquiert, comme on s’entraînerait à un sport, illustre la psychologue.

« C’est observer le mouvement des pensées et des sensations dans son corps », résume Fabienne Lagueux.

Dans la classe de quatrième de l’école Birchwood, Marie-Christine Boily demande aux enfants s’ils ont mis en pratique ce qu’elle leur a enseigné à sa dernière visite. L’une a pratiqué la pleine conscience chez sa grand-mère, l’autre pendant qu’il se faisait vacciner. L’ex-enseignante les félicite.

« Je trouve que les jeunes sont très réceptifs. Ils sont déjà connectés et il faut juste leur rappeler ce qu’ils connaissent », dit-elle.

« Quand [les jeunes] vieillissent, ils entrent dans un engrenage, ça crée beaucoup d’angoisse et d’anxiété. On est rendu à un point où il faut leur faire connaître ces outils-là tôt, pour qu’ils puissent y avoir accès tout au long de leur vie. »

— Marie-Christine Boily, animatrice de la vie spirituelle

Bientôt à l’université

Professeur au département d’éducation et de pédagogie de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), Simon Grégoire constate que l’engouement pour la pratique a gagné les milieux scolaires, après avoir fait son entrée dans les hôpitaux et dans de grandes entreprises.

Également directeur du Groupe de recherche et d’intervention sur la présence attentive de l’UQAM, il a créé avec son équipe un programme court de deuxième cycle en présence attentive. Offert dès janvier, il s’adresse notamment aux enseignants et fera de l’UQAM la deuxième université canadienne à offrir ce type de formation, après l’Université Simon Fraser, en Colombie-Britannique.

« L’idée, c’est d’amener les gens à porter un regard critique sur ces interventions et à les mettre en application de manière professionnelle. On se rend bien compte qu’il y a des enseignants un peu partout qui mettent des initiatives en place. Ça vient souvent d’une bonne dose d’intention et d’intuition, mais ça ne repose pas toujours sur les meilleures pratiques ou sur des données probantes », explique Simon Grégoire.

Marie-Christine Boily insiste sur le caractère scientifique de sa pratique. Au début de l’année scolaire, elle a rencontré les parents des élèves de l’école Birchwood pour leur expliquer ce qu’elle allait enseigner à leurs enfants.

« Certains parents apportent des bémols, mais c’est facile de les rassurer en leur disant que c’est un discours séculier. On n’est pas dans quelque chose d’ésotérique, on reste vraiment loin de ça, surtout avec ce qui se passe en politique. On veut rester dans le non-religieux », dit l’animatrice de vie spirituelle.

Dans la classe de quatrième de madame Prévost, les élèves ne demandent pas à voir de données scientifiques sur la pleine conscience. Leur enseignante voit toutefois les bénéfices. « J’ai une élève qui fait de l’anxiété et elle pratique le mindfulness ; ça aide aussi pour éviter les pleurs. Les élèves trouvent leur stabilité et leurs propres moyens pour se calmer », dit Tiffany Prévost.

S’ils ont pu oublier la douleur d’un vaccin l’espace d’un instant, c’est déjà ça de gagné.

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Des effets à géométrie variable

Diminution du stress et des symptômes d’anxiété, promotion du mieux-être : les études scientifiques sur la pleine conscience tendent à montrer que les bénéfices sont réels. Il faut toutefois se garder d’y voir une solution miracle, disent ceux qui l’étudient. 

« Il n’y a aucun chercheur sérieux qui va prétendre que la méditation est une solution universelle, qui convient à tout le monde. Parfois, dans les médias, on nous présente ces interventions-là comme une nouvelle panacée, mais ce n’est pas le cas. Ça va aider certains élèves à mieux gérer leurs émotions, par exemple, mais pour d’autres, ça aura très peu d’impact », dit Simon Grégoire, directeur du Groupe de recherche et d’intervention sur la présence attentive de l’UQAM.

Son équipe a mis sur pied un projet qui offre des ateliers basés sur la présence attentive dans cinq universités et sept cégeps de la province et au terme duquel on évaluera l’efficacité de la pratique.

L’Université de Sherbrooke a quant à elle instauré une formation à Longueuil pour initier des enfants à la pleine conscience. Des séances de huit semaines qui ont leurs limites, dit Fabienne Lagueux, psychologue spécialisée en enfance et en adolescence.

« Ce n’est pas miraculeux. Ça ne veut pas dire qu’un enfant va être transformé tout de suite, surtout s’il a de la difficulté à se contrôler. Par contre, ce qui est intéressant, c’est que les enfants disent avoir un outil pour mieux comprendre. »

— Fabienne Lagueux, psychologue

« On leur apprend à observer leurs émotions en utilisant des métaphores et les parents nous rapportent que l’enfant va faire référence à ces métaphores », poursuit-elle.

Regard sur l’UQAM

Le programme offert par l’UQAM viendra former des enseignants qui ont le bagage pour bien encadrer ce type d’exercice et comprendre ce qu’est méditer, explique son instigateur.

« La méditation n’est pas une pratique triviale ou anodine. Ce qu’on fait, essentiellement, c’est qu’on tourne le regard vers l’intérieur et on regarde ce qui se joue. Pour un enfant ou un étudiant qui vit des trucs difficiles, il se peut qu’il soit davantage mis en contact avec ça. »

— Simon Grégoire, directeur du Groupe de recherche et d’intervention sur la présence attentive de l’UQAM

Les prochaines études scientifiques devront déterminer dans quel cas il est moins indiqué pour un enfant de faire de la pleine conscience, dit Fabienne Lagueux. « On sait par exemple qu’un enfant avec des sensibilités particulières, par exemple un enfant autiste, pourrait avoir des contre-indications si ce n’est pas bien encadré. Il faut que les enseignants soient sensibilisés à ça, de reconnaître pour qui ça peut être une stratégie intéressante », dit la professeure. 

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