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Les finances personnelles de la sainte Famille

Dans quelles conditions la famille de Jésus vivait-elle ? Charpentier était-il un métier respecté ? À quoi ressemblait la maison familiale ? Les impôts étaient-ils élevés ? Ce que nous disent – prudemment – l’histoire et l’archéologie…

Les finances personnelles de Joseph et Marie ? Non, aucun saint budget de la sainte Famille ne nous est parvenu. Mais les historiens, exégètes et archéologues sont en mesure de faire des hypothèses fondées sur ce qu’on connaît des conditions de vie de l’époque.

Avançons pas à pas dans la Galilée du premier siècle.

Jésus a-t-il existé ?

Réglons d’abord la question de l’existence de Jésus, dont certains chercheurs ont estimé qu’elle relevait du mythe.

Outre les Évangiles canoniques ou apocryphes, Jésus est notamment mentionné par l’historiographe Flavius Josèphe et les auteurs romains Tacite et Suétone.

« Si on regarde la qualité des sources, il n’y a pas plus de raisons de douter de l’existence de Jésus que de celle d’Alexandre le Grand », assène Paul-Hubert Poirier, professeur à la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval.

Gros budget familial

Un budget est proportionnel à la taille de la famille. Jésus est sans doute né au sein d’une famille semblable aux autres en Galilée : c’est-à-dire nombreuse.

C’est d’ailleurs ce que disent les Évangiles de Marc et Mathieu, qui mentionnent ses frères Jacques, José, Jude et Simon, et des sœurs anonymes.

Une certaine interprétation a voulu donner au mot grec signifiant « frère » le sens de « cousin », pour préserver la tradition d’une mère vierge et d’un fils unique.

« On peut interpréter le mot “frère” au sens littéral », rétorque Paul-Hubert Poirier. « L’historien juif Flavius Josèphe, qui écrit au dernier quart du premier siècle, mentionne Jacques, un nom extrêmement courant, comme le frère de celui qu’on appelle le Christ. Si ça avait été un membre du clan au sens large, une telle précision n’a plus de sens. »

Métier : charpentier

Comment le papa de Jésus gagnait-il sa vie pour nourrir ce régiment ?

L’Évangile de Mathieu cite Jésus comme fils du charpentier. Marc accorde cette condition à Jésus lui-même.

« Dans ce type de société, le transfert d’un métier du père au fils est quelque chose de tout à fait normal, d’autant qu’il n’y a pas d’école professionnelle », commente Paul-Hubert Poirier.

Mais de quel métier s’agit-il ?

Les textes grecs utilisent le mot tekton, « qui désigne à l’époque un ouvrier qui travaille le bois, mais qui pouvait travailler également la pierre et le métal », ajoute l’historien. « Ça implique aussi le maniement et la possession d’outils spécialisés. »

Bref, un bon artisan.

Un métier considéré ?

Dans son ouvrage Jesus – A Revolutionary Biography, John Dominic Crossan nous prévient : il faut éviter de voir le charpentier comme l’équivalent antique de nos ouvriers spécialisés, bien rémunérés et membres de la classe moyenne.

Dans le monde gréco-romain, rappelle-t-il, une large faille sociale séparait ceux qui travaillaient avec leurs mains de ceux qui n’avaient pas à s’y abaisser.

La classe moyenne n’existe pas. Au sommet, on trouve la royauté, les dirigeants, la caste religieuse, les grands propriétaires terriens, les militaires, les grands fonctionnaires, les commerçants. À la base de la pyramide s’étale l’immense masse des paysans, dont les deux tiers de la production servent à nourrir la classe supérieure.

Sous cette catégorie se situent les artisans – dont les charpentiers –, qui comptent pour environ 5 % de la population. Crossan les place plus bas parce que c’est habituellement chez les paysans sans terre qu’ils sont recrutés. Au sous-sol pataugent ce qu’il appelle les négligeables – esclaves, journaliers, brigands, mendiants –, soit 10 % de la population.

Propriétaire ?

Joseph et Marie sont-ils propriétaires de leur maison ? « Leur maison, je croirais que oui, répond Pierre Létourneau, professeur titulaire à la faculté de théologie et de sciences des religions à l’Université de Montréal. Les terres, c’est autre chose. C’est très discuté. »

Les terres sont détenues par les grands propriétaires des classes dirigeantes.

« Il n’y a pas de propriété privée chez les paysans, souligne Robert David. Ils peuvent avoir un petit lopin de terre, mais ce n’est pas ça qui les fait vivre. »

Salaire en argent et en nature

Comment Joseph était-il rémunéré ? « Je pense que c’est à la pièce, répond Paul-Hubert Poirier. On fabrique des choses à la demande et on est rémunéré pour ce qu’on fabrique. »

Le paiement s’effectue probablement sous forme de pièces de monnaie. « Il y a une circulation monétaire attestée à l’époque. Cependant, il est fort possible qu’il y ait eu une rémunération en nature ou des échanges de services. »

Compter ses sous ?

Le charpentier pouvait-il comptabiliser ses gages ? « On peut sans contredit affirmer que Joseph savait compter, énonce Paul-Hubert Poirier. Il existait d’ailleurs à l’époque des méthodes de calcul par la position des doigts par rapport à la paume de la main, qui permettaient de compter jusqu’à des nombres fort élevés, comme le comput digital : on pouvait, par exemple, compter jusqu’à 99 de la main gauche et à partir de 100 avec les doigts de la main droite. »

Parfait, il connaissait le calcul sur le bout de ses doigts.

Impôts et endettement

Les impôts religieux et civils sont lourds. « Dépendant de l’échelle qu’on suit – certains parlent de trois niveaux de taxation, d’autres, de deux niveaux –, les prélèvements vont de 30 à 50 %, selon ce qu’on peut estimer », expose Pierre Létourneau.

Crossan avance que de nombreux paysans n’ont pas été en mesure d’acquitter ces impôts sans s’endetter lourdement. Ils peuvent être dépossédés de la terre qu’ils cultivent, ce qui les contraint au statut de journalier, ou pire, de mendiant ou brigand.

Rien n’indique que ce put être le cas de la famille de Jésus.

Les outils d’épargne

Le REER n’avait pas été inventé. La retraite non plus, d’ailleurs.

Selon les inscriptions funéraires, l’espérance de vie d’un homme juif au Ier siècle ne dépassait pas 30 ans, nous informe Crossan, dans Jesus – A Revolutionary Biography.

« Les familles paysannes de l’endroit espéraient gagner péniblement leur vie, payer leurs impôts, survivre avec le restant, et éviter d’attirer l’attention des autorités », décrivent encore Crossan et Reed, dans Excavating Jesus.

« Je ne pense pas que, dans un milieu comme Nazareth, les personnes accumulaient des biens, confirme Pierre Létourneau. Ce n’est pas une économie où on peut engranger, faire du profit et le transmettre. »

Par contre, il est vraisemblable qu’un artisan comme Joseph cède ses outils et son atelier au fils qui prend sa relève.

Droits de scolarité ?

Oubliez les REEE. Alors que de 95 à 97 % de la population juive était illettrée, on peut penser que Jésus, élevé dans une famille ordinaire, l’était aussi, soutient John Dominic Crossan.

En trois mots, il le décrit comme un paysan méditerranéen illettré.

Sa connaissance des Écritures lui serait venue par transmission orale.

Autant Poirier que Létourneau sont plus circonspects. « Il est possible que Jésus ait été capable de lire les Écritures, indique ce dernier. On pense que le degré de littératie chez les juifs était plus élevé parce que c’est une religion qui est centrée sur l’écriture. »

Est-ce qu’un charpentier et son jeune fils et apprenti auraient pu apprendre à lire dans une minuscule bourgade de 400 habitants, sans synagogue ?

Comme pour la plupart de ces éléments, nous nageons dans les conjectures.

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