OPINION ÇA S’EST PASSÉ COMME ÇA

Au-delà des accusations, un parcours exceptionnel

Depuis quelques semaines, des extraits du livre d’Hillary Clinton, What Happened, laissaient présager des règlements de comptes acrimonieux de la part de la candidate démocrate à l’élection présidentielle de 2016.

Alors que 61 % des Américains pensent qu’il est temps pour Clinton de se retirer de la vie politique et que s’amorcera bientôt une campagne électorale législative cruciale, plusieurs membres du Parti démocrate craignaient que la sortie de ce livre ne divise encore davantage le parti, mais il n’en est rien : cet ouvrage va bien au-delà des récriminations d’une candidate qui n’accepte pas sa défaite.

Hillary Clinton analyse effectivement les événements qui ont plombé sa campagne. D’abord, ses propres fautes : son incapacité à établir des liens avec la classe ouvrière, sa retenue stratégique (lorsque Sanders l’accuse d’être à la solde de Wall Street ou lorsque Trump l’intimide durant le deuxième débat), la maladresse de certains de ses propos (les « déplorables » qui soutiennent Trump), sa difficulté à entretenir des relations cordiales avec les médias, son manque de jugement (ses discours rémunérés devant des banquiers) et surtout, cette « erreur stupide » d’utiliser un serveur privé pour ses courriels alors qu’elle était secrétaire d’État.

L’ex-candidate attribue ensuite, comme le démontraient les extraits, une partie de sa défaite à des personnes spécifiques. Loin d’être revanchards, ses propos sont au contraire tout à fait légitimes.

Il est vrai que la Russie a piraté le système informatique du Comité national démocrate et s’est ingérée dans la campagne. Il est vrai que le directeur du FBI, James Comey, a agi de manière proprement stupéfiante en annonçant, à quelques jours du vote, que l’enquête sur les courriels de Clinton était relancée, alors que des millions d’Américains avaient déjà voté par anticipation. Il est vrai que Sanders l’a présentée comme une personne corrompue. Il est vrai qu’Obama n’a pas dénoncé assez vigoureusement l’ingérence russe. Il est vrai que les médias ont offert une couverture inégale des candidats – le New York Times s’excusera d’ailleurs après l’élection d’avoir mis sur le même pied d’égalité « les erreurs de Clinton et l’inaptitude de Trump à gouverner ». Et il est vrai, finalement, que celui-ci a joué à l’intimidateur tout au long de cette campagne vraiment pas ordinaire.

Clinton présente en dernier lieu les problèmes structurels qui l’ont empêchée de devenir la première présidente des États-Unis, problèmes qu’elle regrette de ne pas avoir compris à temps : les lois pour décourager le vote, la « culture de la colère et du ressentiment » des gens face à leurs élus, l’anxiété économique des Américains ou le racisme (plusieurs électeurs blancs considéraient qu’Obama et le Parti démocrate travaillaient surtout pour les minorités).

Hillary Clinton dénonce aussi le sexisme ambiant au sein de la société américaine qui fait en sorte que les médias – et les électeurs – ont, depuis les premières campagnes de Bill Clinton en Arkansas, scruté à la loupe ses repas, ses vêtements, ses coiffures, son maquillage, son sourire, son mariage, sa voix, son ambition, faisant de toutes ces caractéristiques autant de défauts, d’obstacles, de signes de son incompétence à diriger le pays.

What Happened est assurément le bilan d’une défaite amère, probablement parmi les plus surprenantes de l’histoire américaine.

Mais en parlant des motivations à l’origine de son entrée dans la course de 2016, Hillary Clinton livre un plaidoyer senti en faveur de l’implication politique, puisque c’est la meilleure façon, selon elle, d’améliorer la société.

C’est également un compte-rendu des changements technologiques, politiques et sociaux qui affectent la démocratie américaine depuis plusieurs années, et plus spécialement la façon dont les campagnes électorales sont menées. C’est aussi un constat bouleversant et percutant sur la place des femmes en politique : alors que « la politique est meilleure quand les femmes y participent », leurs voix et leurs ambitions sont encore trop souvent ensevelies sous celles des hommes. Mais What Happened est d’abord et avant tout un livre sur le parcours hors du commun d’une femme qui a consacré sa vie au service public et qui, en d’autres circonstances et malgré ses défauts, serait jugée comme étant exceptionnelle.

La version française du livre What Happened de Hillary Clinton, Ça s’est passé comme ça, sort aujourd’hui en librairie.

* Karine Prémont est directrice adjointe de l’Observatoire sur les États-Unis de la Chaire Raoul-Dandurand de l’UQAM.

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