Chronique

Quand Mulcair admirait Thatcher

C’est quoi, la gauche ?

Peut-être que c’est plus facile d’expliquer la gauche par ce qu’elle n’est pas. Je vais tenter une explication a contrario de ce que la gauche essaie de ne pas être.

Ce n’est pas le triomphe des marchés, du capitalisme débridé et de la liberté individuelle supplantant à chaque heure du jour les intérêts collectifs.

Ce n’est pas l’effacement de l’État, ce n’est pas se faire complice du torpillage des rapports de force des travailleurs. Ce n’est pas faire de l’État une succursale de la Business.

Pardonnez ce détour idéologique, il était nécessaire pour parler de celui, idéologique, de Thomas Mulcair.

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Le chef de l’opposition officielle est de gauche. Normal, le NPD est à la gauche canadienne ce que le PQ est au souverainisme québécois : son vaisseau amiral.

M. Mulcair a été libéral, au Québec. Sa pureté idéologique a été mise en doute pendant la campagne à la direction du NPD, qu’il a remportée. Les militants ont jugé que Thomas Mulcair était assez à gauche pour être l’héritier de Jack Layton. D’autres, en 2013, l’ont pourfendu quand il a obtenu que le NPD largue les références au socialisme dans sa constitution, en 2013.

M. Mulcair n’est peut-être pas assez à gauche pour certains militants, mais il est de facto le chef de la gauche canadienne. Je ne doute pas de ses convictions progressistes.

Permettez que je revienne à la question de base, une seconde : c’est quoi, la gauche ?

J’ai une meilleure réponse que celle tentée à tâtons, plus haut. Elle se résume à une phrase.

La gauche, c’est pas Margaret Thatcher.

La Dame de fer, première ministre conservatrice britannique de 1979 à 1990, a imposé des réformes brutales à son pays. Pour la gauche occidentale, Margaret Thatcher, c’est l’Antéchrist, c’est le modèle néolibéral à ne pas suivre, celui qui permet et perpétue les inégalités sociales.

Pour vous dire à quel point Margaret Thatcher est tout ce que la gauche n’est pas, le NPD a utilisé en 2013 une citation (déformée, mais ça, c’est une autre histoire) de la libérale Chrystia Freeland pour la discréditer.

Titre du communiqué en forme de question : « Pourquoi la conseillère économique de Justin Trudeau admire-t-elle Margaret Thatcher ? »

Autre preuve que, pour la gauche, deux ans après sa mort et 25 ans après avoir quitté le 10, Downing Street, Margaret Thatcher est encore l’Antéchrist.

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En avril 2001, à l’Assemblée nationale du Québec, le député libéral de Chomedey a critiqué le gouvernement péquiste en disant ceci :  « Un gouvernement ne devrait jamais avoir la prétention de pouvoir se substituer au marché privé, ça ne marche pas. Ça ne marchait pas en Angleterre. Jusqu’au temps de Thatcher, c’est ça qu’ils ont essayé, le gouvernement avait son nez dans tout. Un vent de liberté et de libéralisme dans les marchés a soufflé en Angleterre et, au lieu d’être un des pays les moins performants dans toute l’Europe, c’est devenu un des pays les plus performants. »

Le député de Chomedey, à l’époque, s’appelait Thomas Mulcair. C’est le blogueur Steve Fortin – partisan du Bloc – qui a le premier déterré cette citation. Puis, hier soir, j’en ai reçu la vidéo.

Admirer Thatcher en 2001 et devenir chef du NPD, voilà un détour étonnant, sachant que Mme Thatcher n’est pas soluble dans la gauche, qu’elle a un jour dit que « la société n’existe pas », que seule existe une mosaïque d’individus prêts à prendre leurs responsabilités. Un peu comme si Stephen Harper trouvait des qualités à Salvador Allende, président socialiste (assassiné) du Chili, icône de la gauche des années 70…

Au ministre péquiste Gilles Baril, il a aussi dit quelque chose de pas très néo-démocrate lors de cette commission parlementaire : « Ce serait temps que des lumières s’allument sur son tableau de bord et qu’il se rende compte que les […] forces qui nous ont traînés vers plus d’emplois et une certaine baisse de chômage au Québec, […] des forces externes à nous autres, nous ont permis de connaître cette amélioration malgré son gouvernement. Malheureusement, parce qu’on est les plus taxés en Amérique du Nord, parce qu’on a tellement d’implication étatique, [parce que] le gouvernement est partout dans les entreprises… Eh bien, on a un réel problème qui s’en vient parce que l’économie nord-américaine s’en va à la baisse, et, nous, on va ressentir la turbulence de cette baisse plus vite que les autres endroits. Et la solution à ça, Monsieur le Président, ce n’est pas plus d’interventionnisme de l’État, c’est moins. »

Je pense qu’on peut changer d’idée en politique. D’autres l’ont fait. Mais plus le détour est décoiffant et plus celui qui le prend est important, plus je pense que l’explication doit être touffue…

Je cite l’explication du porte-parole du chef du NPD : « M. Mulcair était très clair à l’époque comme aujourd’hui qu’un gouvernement doit fournir des services pour la population, m’a écrit Karl Bélanger. On a vu les conservateurs mettre la hache dans les services à la population, que ce soit l’assurance-emploi, la livraison du courrier ou l’inspection des aliments. Déformer des propos tenus il y a 14 ans pour y voir ce qui n’y est pas ne tient pas la route, considérant le bilan politique et les positions progressistes prises par le chef du NPD. »

Plus haut, le lecteur pourra regarder les vidéos de la déclaration de M. Mulcair en 2001, ci-dessous, il pourra aller lire les mots de M. Mulcair dans le journal des débats de l’Assemblée nationale dans leur contexte. Il jugera si cette chronique déforme les propos de M. Mulcair.

Mais pour moi, la question est pertinente : le Thomas Mulcair de 2015 admire-t-il encore, comme il l’admirait en 2001, Margaret Thatcher ?

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