Opinion Pascale Navarro

ÉGALITÉ HOMMES-FEMMES
Le tabou des quotas

Le débat sur la parité est relancé, et l’anathème sur les moyens pour y arriver reprend de plus belle.

Le recours à des mesures de correction (aussi appelés quotas), est vu comme du dogmatisme : on répond qu’il est impossible de discriminer selon le critère du genre, car ce serait antidémocratique, ou condescendant, comme l’a dit l’actrice Sophie Lorain il y a quelques jours à l’émission Tout le monde en parle. Pourtant, que les pouvoirs soient occupés par une majorité d’hommes ne fait pas sourciller les adversaires de la parité. Tant pis, disent-ils, les femmes n’ont qu’à prendre leur place.

Si c’était si simple, ce serait déjà fait.

Antidémocratique ?

Il y a 20 ans que je m’intéresse au sujet de la discrimination positive, et j’ai toujours rencontré des ennemis aux yeux bandés. Avant même que l’on ne discute, leur idée est faite : considérer un critère (de race, de sexe, de classe), lorsqu’on fait un choix de société, c’est antidémocratique, et ça ne se peut pas, voilà tout. C’est l’argument de plusieurs politiciens (et de politiciennes), de cercles d’affaire, de chroniqueurs et bien d’autres. Antidémocratique ? Voyons voir.

Leur prémisse, selon laquelle il faut rester démocratique, s’appuie sur un contresens, puisque notre société elle-même repose sur une inégalité majeure, celle d’un système qui discrimine les femmes depuis toujours.

Ce que je viens d’écrire n’est pas une opinion, mais une donnée objective. Ce qui fait que la construction de tout leur argumentaire est boiteuse.

La compétence en question

Parlons maintenant de « compétence ».

Puisque cette critique selon laquelle les quotas favorisent des femmes incompétentes revient inlassablement au Québec et ailleurs, de plus en plus de recherches se font sur le sujet. La London School of Economics (LSE) a réalisé une étude portant sur plusieurs élections en Suède (s’étalant de 1993 à 2014), pour conclure que la qualité des élus avait augmenté après l’adoption de quotas.

Dans un article de L’actualité publié l’an dernier, la journaliste Noémi Mercier a recensé plusieurs études qui arrivent aux mêmes conclusions : en France, en Italie, en Scandinavie ou en Grande-Bretagne, aucun résultat de recherche ne démontre une baisse de la compétence en matière de représentation politique.

Les bienfaits

En fait, c’est même le contraire. Il est expliqué, dans l’étude de la LSE, que les hommes politiques ont tendance à s’entourer de semblables. Ce qui rehausse leurs chances de se représenter pour une élection, et d’être soutenus par des hommes des mêmes milieux, et, s’ils sont incompétents, aussi incompétents qu’eux.

La conclusion de la London School of Economics est étonnante : la pratique de mesures correctrices a eu pour effet de hausser le niveau de compétences de la classe politique en général.

En fait, les hommes politiques ouverts à l’instauration des quotas sont prêts à remettre en question certaines pratiques et habitudes, ce qui permet de modifier les critères de recherches en matière de recrutement. La classe politique se renouvelle donc davantage, et permet une diversité de représentation. En fait, les quotas bouleversent les traditions de réseautage habituelles.

C’est plutôt positif, non ? Selon cette vision des choses, le pire risque, avec les quotas, c’est d’exclure les hommes incompétents de la vie politique. C’est ça, la grande menace ?

Décider entre hommes

La professeure et essayiste Marie-Ève Maillé a cofondé avec la journaliste Marilyse Hamelin, en 2015, la plateforme Décider entre hommes (DEH), qui a rapaillé des centaines de photos et images exposant la surreprésentation des hommes dans les instances.

Cette initiative a connu un impact foudroyant. Sa créatrice, après avoir assuré seule la gestion de DEH pendant deux ans, passe désormais la main au collectif Je suis féministe. Mais parallèlement à ce projet, Marie-Ève Maillé a cosigné, avec Pierre Batellier, un essai sur l’acceptabilité sociale1, qui comporte un chapitre sur les inégalités de sexe. Elle y explique par exemple combien les politiques énergétiques ne prennent pas en compte leurs retombées dans les conditions de vie des femmes. C’est l’une des conséquences de la surreprésentation des hommes dans les cercles de décision.

Il y en a mille autres. Le concept d’acceptabilité sociale s’applique aussi à la parité : puisque selon un sondage Léger-Le Devoir  (11 avril), 74 % des jeunes au Québec la souhaitent, promouvoir le statu quo est contraire à leur désir. Selon ce sondage, 79 % des femmes sont aussi en faveur de la parité.

On peut continuer à bouder les méchants quotas, mais personne n’a encore trouvé d’autre solution pour que les choses changent vraiment.

Et la meilleure illustration de cela vient du gouvernement québécois lui-même. En 2006, il a promulgué la Loi sur la gouvernance des sociétés d’État, et inscrivait la parité obligatoire dans la composition des conseils d’administration de ces sociétés. Et ça a marché, on a trouvé les femmes compétentes qu’il fallait.

Où est donc le problème ?

1 Acceptabilité sociale : sans oui, c’est non, éd. Écosociété.

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