ACCÈS À L’INFORMATION

UN SYSTÈME TROP LOURD, DÉNONCENT LES CHERCHEURS

Le système de protection des renseignements personnels est devenu un frein à la recherche, affirme le scientifique en chef du Québec, qui réclame pour les chercheurs un accès simplifié aux banques de données gouvernementales.

Dans un mémoire passé inaperçu au moment de sa présentation en commission parlementaire, plus tôt cet automne, le scientifique en chef Rémi Quirion dresse un sombre constat de l’accès à l’information détenue par les ministères et organismes québécois, évoquant même « une certaine ‟méfiance” de la part des institutions face aux chercheurs ».

« Bien que la législation comporte les exceptions nécessaires à un accès sans consentement aux données personnelles à des fins de recherche, l’expérience rapportée généralement par les chercheurs est à l’effet que cet accès est, dans les faits, difficile voire quasi impossible dans des délais raisonnables », peut-on lire dans le document.

Le principal problème, avance M. Quirion en entrevue, c’est que « le système fonctionne en silos » et multiplie les dédoublements.

Avant de se lancer dans un projet de recherche en santé, par exemple, les scientifiques doivent obtenir le feu vert du comité d’éthique de leur établissement. Ensuite, si des données de la Régie de l’assurance maladie du Québec ou d’un autre organisme gouvernemental sont nécessaires, ils doivent recevoir l’autorisation de la Commission d’accès à l’information (CAI), chien de garde de la protection des renseignements personnels en matière de recherche. 

« Mais même si la Commission dit oui, il faut ensuite recommencer avec l’organisme qui détient les données. Il y a une duplication des efforts et ça prend énormément de temps. »

— Rémi Quirion, scientifique en chef du Québec

Le Québec est la seule province canadienne où deux paliers d’approbation sont requis, peut-on lire dans un rapport publié le printemps dernier par le Conseil des académies canadiennes. « Par rapport aux autres provinces, on met énormément de poids sur la confidentialité des données en oubliant qu’on ampute ainsi la capacité du gouvernement de bien évaluer les politiques mises en place », note Pierre-Carl Michaud, vice-président du groupe politiques publiques du Centre interuniversitaire de recherche en analyse des organisations (CIRANO).

Catherine Haeck, professeure de sciences économiques à l’UQAM, s’est battue devant la Commission d’accès à l’information pour obtenir les codes postaux des services de garde en milieu familial. Sans succès. « J’ai eu le temps de tomber enceinte, d’avoir ma fille et elle a 2 ans aujourd’hui ! », dit-elle.

La chercheuse avait besoin de ces codes postaux dans le cadre d’une étude financée par le Fonds de recherche Société et culture, l’un des trois fonds dirigés par M. Quirion. L’objectif était de mieux comprendre les impacts des différents types de garderie sur la santé et le développement des enfants. La CAI lui a dit non. « Le programme coûte des milliards à la société, alors l’évaluer, c’est sain, il me semble !, dit la chercheuse. Ce n’est pas qu’on n’est pas riches en données, c’est qu’on ne peut pas y accéder. »

Aux délais s’ajoutent des coûts « allant parfois jusqu’à plusieurs milliers de dollars, note M. Quirion. On pourrait croire que l’accès aux données détenues par le même gouvernement qui finance [la recherche] se ferait de façon plus fluide. »

LE QUÉBEC MARGINALISÉ ?

Le manque de transparence pourrait avoir un impact sur la relève en recherche, croit-il. « Probablement que des jeunes qui pensent à ce type de carrière vont y penser à deux fois. Ce serait dommage, car on s’en va de plus en plus vers le big data et l’assemblage de banques de données. »

Plus encore, le Québec risque selon lui de se retrouver marginalisé, à l’écart des grands projets de recherche internationaux qui sont de plus en plus la norme dans des domaines aussi variés que la génétique, les médicaments ou l’environnement. « Si les bases de données ne sont pas accessibles, on ne sera pas compétitifs et on va être absents des grandes programmations [de recherche] internationales, en plus d’avoir de la difficulté à influencer nos politiques internes, car on va devoir se baser sur des données [étrangères] qui ne sont pas nécessairement applicables. »

Le ministre responsable de l’Accès à l’information, Jean-Marc Fournier, affirme que le gouvernement n’était pas au fait des contraintes vécues par les chercheurs jusqu’à ce que le scientifique en chef témoigne en commission parlementaire à la fin du mois de septembre. L’enjeu n’est effectivement mentionné nulle part dans les orientations gouvernementales pour un gouvernement plus transparent, déposées au printemps dernier, qui doivent mener éventuellement à une réforme de la Loi sur l’accès à l’information.

« Quand le scientifique en chef dit qu’on ne facilite pas la recherche, je le crois », dit le ministre, qui a accepté l’offre de M. Quirion de créer un comité d’experts pour le conseiller. 

« Il faut trouver le moyen de faciliter et de favoriser cette recherche – tout en, bémol, protégeant la vie privée. »

— Jean-Marc Fournier, ministre responsable de l’Accès à l’information

La Commission d’accès à l’information reconnaît elle aussi l’existence du problème. « On est conscients qu’il peut y avoir des délais quand les scientifiques demandent des données », dit la porte-parole Véronique Lessard. La CAI entend faire des recommandations pour éliminer ces « éléments irritants » dans son prochain bilan quinquennal, en 2016.

Selon Bartha Maria Knoppers, directrice du Centre de génomique et politiques de l’Université McGill, les solutions existent déjà dans d’autres provinces, notamment en Ontario. « D’autres provinces se sont dotées de centres ou d’instituts qui font la collecte de données administratives en santé que les chercheurs peuvent ensuite utiliser, explique-t-elle. Au Québec, on n’a pas cette ressource efficace. Le système n’est pas là pour favoriser la recherche. C’est lent, long, coûteux – et parfois on renonce carrément. »

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