Agriculture biologique

Bio et rentable

Un projet majeur voit le jour pour pousser la recherche d’un nouveau modèle d’affaires agricole

HEMMINGFORD — L’agriculteur québécois Jean-Martin Fortier est devenu une célébrité internationale dans l’univers du bio en trouvant des façons de faire rentables, avec trois fois rien. Pas beaucoup de terre, pas beaucoup d’équipement…

Maintenant, il travaille pour un homme d’affaires aux ressources immenses, qui a décidé de mettre ses idées, son énergie, son argent, son savoir-faire en gestion, en finances et en développement d’entreprises dans un nouveau projet : la mise au point d’un nouveau modèle d’affaires agricole. Un modèle profitable, évidemment, mais aussi biologique, exportable, qui permette aux jeunes qui le veulent de créer une ferme naturelle et de gagner ainsi solidement leur vie.

Bienvenue à la Ferme des Quatre-Temps d’André Desmarais à Hemmingford.

L’idée est venue au président délégué du conseil, président et co-chef de la direction de Power Corporation (et propriétaire de ce journal) à la naissance de son petit-fils, explique-t-il en entrevue. « Je me suis dit que j’aimerais faire une petite différence pour nous aider tous à avoir accès à de la nourriture santé. »

Loin de lui toutefois l’idée de jouer les fermiers pour les besoins de sa famille uniquement. Son projet visait beaucoup plus large : inventer un nouveau modèle d’entreprise agricole biologique durable qui pourrait être diffusé.

« On cherche une façon à la fois de faire de l’argent et de produire de bons aliments à prix compétitifs, nutritifs, pour que la société soit en meilleure santé », dit-il.

Sa première ferme est à Hemmingford, à 45 minutes en voiture au sud de Montréal, près de la frontière américaine, mais il en a déjà acheté une autre à Port-au-Persil, dans Charlevoix. « Si notre modèle marche, j’aimerais que d’ici 10 ans, il y ait 100 fermes », explique-t-il. « Et comme je n’aime pas perdre, on va s’arranger pour que ça marche. »

UN CONSEIL DE LA FAMILLE ROCKEFELLER

Pour lancer son projet, M. Desmarais est allé consulter la famille Rockefeller à Stone Barns, au nord de New York, où elle possède une ferme bio qui alimente notamment le restaurant Blue Hill du chef Dan Barber. Là, un des consultants de la ferme, sommité de l’agriculture bio en climat froid, Eliot Coleman, lui a parlé de Jean-Martin Fortier. L’équipe venait d’être formée.

Le projet a été lancé en janvier 2015 et déjà la ferme fournit plusieurs grands restaurants montréalais en légumes. Les produits sont aussi vendus le samedi au marché Jean-Talon et au marché des Éclusiers, dans le Vieux-Port.

« On est actuellement huit et on sort pour 10 000 à 15 000 $ de légumes par semaine. »

— Jean-Martin Fortier

En plus des légumes, la ferme a des bovins pour la viande, 250 poules, des cochons en quasi-liberté dans la forêt.

Ils auraient aimé avoir quelques vaches, mais ils n’ont pas de quota de lait. Et à vrai dire, Jean-Martin Fortier n’a pas été impressionné par tous les obstacles réglementaires rencontrés depuis le début du projet, autant les limites imposées par l’Union des producteurs agricoles que celles du ministère de l’Agriculture. « Pour faire du bio, ça prend du béton partout », lance-t-il, ajoutant que le coût de toutes ces balises imposées est souvent énorme, ce qui affecte leur modèle d’affaires. « C’est épouvantable. »

INTÉRESSÉS PAR « LES RENDEMENTS »

Dans le potager, tout est organisé en fonction des principes d’agriculture bio intensive mis au point par Fortier, qui a écrit un best-seller international sur la question. « Nous, ce qui nous intéresse, ce sont les rendements », dit l’agriculteur.

Non loin, des paquets de rabioles parfaites, sans la moindre trace de parasites, montrent joliment qu’ici le bio s’est parfaitement adapté aux exigences du marché. D’ailleurs, le but de M. Desmarais est que les produits soient totalement concurrentiels avec ceux de l’agriculture traditionnelle. Meilleurs sur le plan nutritif – notamment car locaux et donc cueillis à maturité –, mais à prix accessible.

« On veut offrir de la bonne nutrition sans défoncer son budget. »

— André Desmarais

Une des pistes que l’équipe entend suivre pour rentabiliser la ferme, c’est l’agriculture d’hiver. On entend y travailler 10 mois sur 12. Avec des serres énergivores ? Pas du tout, répond M. Fortier. « Avec un système de couvertures développé par Eliot Coleman. » Les restaurants approvisionnés par les Quatre-Temps et les clients des marchés pourront donc avoir des légumes frais presque toute l’année.

Aussi, M. Desmarais a fait construire une cuisine de pointe, très techno, par ceux qui ont écrit la bible de la cuisine actuelle, Modernist Cuisine, afin que la ferme transforme ses surplus avec des recettes et des techniques axées sur la maximisation de la valeur nutritive des aliments. On compte ainsi éviter tout gaspillage et revendre les produits avec une valeur ajoutée.

Pendant ce temps, l’homme d’affaires travaille aussi sur la mise au point d’outils financiers pour aider les jeunes qui le veulent à aller s’installer à la campagne. Parce que lancer une ferme, c’est un investissement.

« La révolution industrielle a permis aux gens d’aller vers les villes à la recherche d’une meilleure vie. Mais je ne serais pas surpris que maintenant, on retourne vers la campagne et à la ferme pour y trouver une meilleure vie, dit M. Desmarais. J’espère pouvoir aider à ça. »

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