Chronique

Le bon bulletin du ministre Proulx

Le ministre de l’Éducation Sébastien Proulx a clairement décidé de pousser le système d’éducation québécois vers les recettes qui ont fait le succès de certaines sociétés où l’école est importante avec sa Politique de la réussite éducative, annoncée hier.

Je me croise les doigts. C’est peut-être le début d’une réelle valorisation de l’école québécoise.

Égide Royer, professeur au département d’études sur l’enseignement et l’apprentissage de l’Université Laval, donne une note se situant « entre 7,5 et 8 » au ministre Proulx pour sa politique.

Le professeur Royer apprécie particulièrement deux mesures annoncées par Québec hier. 

– La littératie précoce, c’est-à-dire l’initiation à la lecture dès le plus jeune âge, dès 4 ans : « C’est le nerf de la guerre », dit-il, répétant ce qu’il martèle depuis des années.

– La création d’un Institut national d’excellence en éducation, dirigé par Martin Maltais de l’Université du Québec à Rimouski, pour que les enseignants soient au fait des pratiques d’enseignement qui fonctionnent… ou pas.

« Ce qui est annoncé, ça n’a rien d’ésotérique, c’est ce qui se fait dans les meilleurs systèmes scolaires en Amérique, je pense à l’Ontario, à la Colombie-Britannique, au Massachusetts, à l’Iowa, qui ont tous des taux de diplomation de 85 %. Objectivement, ce que le ministre Proulx a fait, nous n’avons pas à en être gênés. Il est allé voir le monde. »

Égide Royer se réjouit que M. Proulx n’ait pas perdu de temps sur des mesures qui semblent efficaces, mais dont l’efficacité, justement, n’a jamais été avérée, « comme l’aide aux devoirs ou la réduction du nombre d’élèves dans les classes ».

Même son de cloche chez Monique Brodeur, prof en adaptation scolaire à l’UQAM, dont elle dirige aussi la faculté des sciences de l’éducation. Elle aussi donne un bon bulletin au ministre Proulx. Il a été « courageux », dit-elle : il s’est donné « la capacité d’avoir du temps » pour consulter, depuis l’automne.

Signal fort, note-t-elle : le premier ministre Philippe Couillard était avec son ministre de l’Éducation, hier. « On arrive donc avec une politique qui intègre les éléments d’un bon système », assure-t-elle.

Monique Brodeur se réjouit de la création de cet Institut national d’excellence en éducation – pour lequel elle avait milité –, une façon selon elle de réparer la « cassure » entre tout ce que la science enseigne à propos de l’apprentissage et ce qui s’applique dans les écoles.

« Intervenir en littératie de façon précoce, dès l’âge de 4 ou 5 ans, va contribuer à faire jouer à l’école son rôle pour contrer les inégalités […]. Si on ne fait pas les bonnes choses au bon moment, il y a plein d’enfants qui n’ont pas accès aux ressources. »

Pendant 15 ans, Monique Brodeur a été sur le terrain, comme orthopédagogue et comme éducatrice en milieu défavorisé. La politique annoncée hier, croit-elle, permettra à l’école de jouer son rôle « d’égaliser les chances pour tous ».

« J’ai été marquée par ces 15 ans : je parle de familles où il n’y a aucun livre dans la maison, où la mère tire le diable par la queue. On se dit : leur seule chance, c’est de réussir à l’école… Donc, pour ça, il faut faire une différence dès leur entrée à l’école, à 4 ans ; sinon, on fait en sorte que les enfants qui n’ont pas eu de chance à la loterie de la vie vont perpétuer cette malchance de génération en génération. »

C’est peut-être le début de quelque chose, comme je disais. On verra comment tout cela va s’appliquer dans le réel, on verra si les forces d’inertie du système vont plomber les ambitions.

Mais c’est peut-être le début d’une nouvelle importance pour l’école. Je me croise les doigts.

Et il faut le dire : il semble bien que l’Éducation se soit trouvé un vrai ministre.

Il était temps.

CIRQUE ET BOTANIQUE

Ainsi donc, Charles-Mathieu Brunelle croit que les préoccupations de plusieurs artisans du Jardin botanique quant à sa dilution dans la patente dont il est le directeur général, « Espace pour la vie », ne sont que de « fausses nouvelles ».

Quand je l’ai entendu dire « fausse nouvelle » hier à Radio-Canada, je me suis dit que c’est mal barré quand tu reprends une expression popularisée par Donald Trump pour nier le réel…

Mais le fait demeure que le Jardin botanique va perdre son directeur. Je cite l’article de mon collègue Louis-Samuel Perron, qui a couvert une conférence de presse de M. Brunelle hier : « Concrètement, le directeur du Jardin botanique devient le directeur de la conservation et de la recherche pour les quatre musées d’Espace pour la vie et la directrice de l’Insectarium devient la directrice des programmes publics pour les quatre musées. »

Donc, avant, le Jardin botanique avait son directeur. Il devient « directeur de la conservation et de la recherche » pour les quatre musées que sont le Jardin, le Biodôme, l’Insectarium et le Planétarium…

Donc, demain matin, ce directeur du Jardin botanique va devenir spécialiste des roches lunaires et des papillons, c’est ça ? Les organigrammes remaniés de M. Brunelle sont vraiment magiques !

L’ancien directeur du Jardin botanique Pierre Bourque trouve que la réforme qui va supprimer le poste de directeur de cette institution est nocive pour sa mission.

L’ex-directeur Gilles Vincent aussi.

L’actuel conservateur du Jardin, Michel Labrecque, idem.

Le professeur au département de sciences biologiques de l’UdeM et conservateur de l’Herbier Marie-Victorin, Luc Brouillet, aussi.

Les Amis du Jardin botanique, la directrice Maud Fillion en tête, itou…

Et hier, l’horticulteur et auteur Bertrand Dumont m’a écrit pour me dire son inquiétude. Je le cite : « La singularité du Jardin botanique est-elle menacée ? Sans hésitation, la réponse est oui. En fusionnant (c’est bien le mot) les quatre institutions (Jardin botanique, Biodôme, Insectarium et Planétarium), en dégommant les directeurs et en créant trois divisions, on vient selon moi enlever son essence, son âme, sa nature propre à chaque institution. Inadmissible ! »

Donc…

Tous ces gens ont une expertise en science, en botanique. Et tous ces gens trouvent que le flash de M. Brunelle est nocif.

Or, le gars vient nous dire que les préoccupations de tous ces gens qui connaissent la science sont des « fake news ».

Question : Charles-Mathieu Brunelle a-t-il une formation en science ?

Si c’est le cas, il le cache bien.

M. Brunelle est d’abord un danseur. C’est ensuite le fondateur de la TOHU, cet espace consacré aux arts du cirque.

Je ne veux dénigrer ni la danse ni le cirque, mais M. Brunelle devrait écouter un peu moins les constructeurs de phrases vides qui n’ont que le mot « synergie » à la bouche et écouter un peu plus les gens qui connaissent cent fois mieux que lui la science et le Jardin botanique. Parce que pour l’instant, il ne fait qu’exposer son manque de culture scientifique.

J’ai l’air méchant, mais si j’étais vraiment méchant, je sortirais des citations de M. Brunelle tirées des propos qu’il a tenus sur la biologie lors d’une entrevue avec Patrick Masbourian il y a quelques années, à la radio publique…

Il y a des employés du Jardin botanique qui se souviennent de ces propos et qui trouvent que ÇA, c’était fake en tabarslak…

Encore une fois, j’insiste : le Jardin botanique n’appartient pas à M. Brunelle et le débat sur sa mission et son avenir doit se faire hors du petit cénacle qu’il dirige.

Et son « Espace pour la vie » est une patente à gosse.

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