CHRONIQUE

Respecter le produit

Ce qui m’intéresse dans Star Wars, c’est sa mythologie. Les références à l’Ancien Testament, à la légende du roi Arthur, à la Seconde Guerre mondiale. La mythologie, ainsi que la saga familiale shakespearienne : la résolution (ou la non-résolution) des conflits œdipiens, les guerres fraternelles, les froids et les réchauffements entre clans ennemis, etc.

Qui est le père, la mère, le frère, la sœur, le jumeau de tel ou tel autre personnage ? Celui-ci et celle-là seraient-ils liés par un lointain cousinage ? Elle ne serait pas la petite-fille d’Untel, qui aurait eu une aventure avec Unetelle hors des sacro-saints liens du mariage intergalactique ? Ça a l’air que…

J’observe l’évolution de l’arbre généalogique de la Guerre des étoiles comme Fred Pellerin s’inspire des commérages de son village.

Ce sont les personnages et leurs destins qui m’intriguent, essentiellement. Et leurs potins incestueux.

Mon intérêt pour les questions de filiation « starwarsienne » a été ravivé il y a deux ans grâce à The Force Awakens, qui a redonné son lustre à une série s’étant égarée, dans les années 90, sous la gouverne de son créateur George Lucas. Kylo Ren, alias Ben Solo, a tué son père Han (mon personnage préféré, toutes époques confondues). Ferait-il de même avec sa mère Leia, dans The Last Jedi, en salle vendredi ?

Qui est pour Luke Skywalker – jumeau de Leia et oncle de Ben – la jeune Rey, celle qui l’a retrouvé dans une île déserte à la fin de l’épisode VII et en qui bouillonne obstinément la Force ? Sa fille, sa nièce, sa bru ? Une inconnue ? C’est ce que j’avais hâte de savoir, en début de semaine, en découvrant l’épisode VIII. (Nous en sommes au deuxième épisode de la troisième trilogie de cette série qui célèbre ses 40 ans et n’a pas été filmée chronologiquement, pour ceux qui ne tiennent pas bien le compte.)

Le reste, les effets spéciaux, les poursuites en vaisseau spatial, les duels au sabre laser – tout ce qui fait que les films d’action sont souvent interchangeables – , m’importe peu et me semble bien accessoire. Il y a d’ailleurs bien de « l’accessoire » dans The Last Jedi, qui commence où se terminait The Force Awakens : beaucoup de « bibittes » attendrissantes, de pseudo Ewoks et de quasi Jar Jar Binks…

Résumé succinct de l’intrigue : les bons tentent tant bien que mal de repousser les méchants tandis que Rey, de son côté, essaie de convaincre Luke de sortir de sa retraite de Jedi pour un dernier affrontement Résistance-Premier Ordre. Un peu comme Guy Lafleur à l’époque des Rangers et des Nordiques. Le démon, cette fois, n’est pas blond. Il se nomme Snoke et c’est lui « le leader suprême ».

J’ai assez peu apprécié The Last Jedi, scénarisé et réalisé par Rian Johnson (Looper), mais je ne serais pas étonné que mes fils de 13 et 11 ans lui trouvent plus de qualités que moi.

C’est un divertissement de bonne tenue, portant le sceau de qualité Disney, qui enfile les scènes de batailles épiques, les combats d’épées lumineuses et les exploits militaires.

C’est aussi le film le plus long de la série des Star Wars (à 152 minutes) et, à mon sens, le plus racoleur. Or, trop, comme on sait, c’est comme pas assez. Dans l’humour comme dans le drame, dans le film de science-fiction comme dans le film d’action. Trop d’explosions, trop de « pow, pow : t’es mort ! » et l’on sacrifie, forcément, à l’émotion. Trop de blagues calibrées pour des rires faciles, trop d’animaux cute pour faire sourire, et l’on oublie que c’est la guerre. Trop de superflu, trop d’intrigues secondaires, et l’on perd de vue le fil narratif principal.

Pourquoi n’ai-je pas trop aimé The Last Jedi ? Surtout, comme on dit aux Chefs !, parce que je n’ai pas l’impression que l’on a « respecté le produit » ; c’est-à-dire la mystique et l’aura qui entourent Star Wars. Pour ses détracteurs, cette série n’est que pur et avilissant divertissement. Mais pour ses admirateurs de la première heure (j’en suis), Star Wars, c’est aussi du sérieux ! Or, dès le début de cet épisode VIII, les dialogues semblent tout droit sortis de Spaceballs, une parodie de Star Wars…

Bien sûr que Han Solo était, dans la trilogie originelle, un spécialiste des vannes sardoniques. Et on ne voudrait pas d’un Star Wars qui se prenne trop au sérieux. Mais la Guerre des étoiles n’est pas une farce !

Sans révéler de punch, Rey, en pleine « conversation Skype » télépathique avec Kylo Ren, a des réflexions qui auraient davantage leur place sur Tinder qu’en temps de guerre entre deux ennemis jurés.

Il y a évidemment du bon dans cette nouvelle lecture des aventures de la bande de Luke et de Leia. On aborde des questions d’ego masculin et d’intelligence tactique féminine fort intéressantes. Les héroïnes sont, plus que jamais, des femmes. Visuellement, il y a de très belles idées, comme ce champ de bataille couvert de sel blanc qui vire au rouge sang dès qu’il a été foulé. Mais d’autres effets spéciaux laissent à désirer : la démarche hachurée de Snoke, ce vilain snoreau, est peu naturelle et digne d’un jeu vidéo du début de la décennie.

The Force Awakens, même s’il était un peu trop calqué sur la première trilogie de Star Wars, avait remis la « franchise » sur les rails en 2015. Dans Rogue One, « hors série » à l’affiche l’an dernier, on sentait que la vie humaine avait enfin une valeur dans cet univers. Même s’il semble très bien accueilli par la critique américaine, The Last Jedi n’est pas, à mon avis, à la hauteur des attentes suscitées par ces deux films de la « nouvelle génération ». Mes fils, et bien d’autres, risquent de ne pas être d’accord.

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